Une histoire à tenir debout, Régine Salvat
Une histoire à tenir debout, 299 pages, 18,30 €
Ecrivain(s): Régine Salvat Edition: Jean-Claude Lattès
Une traversée des apparences
Comment parler du livre de Régine Salvat sans évoquer l’émotion violente et incompressible qui nous étreint en le lisant, sans évoquer la présence à chaque mot, de RémY, pendant notre lecture.
RémY (avec un Y !), un être doté d’une grande intelligence, sensible, magnanime et qui a su gagner tant de combats contre sa maladie, à différentes étapes, pour apprendre à lire, à écrire, quand sa maladie l’entravait, qui a refusé le plus longtemps possible le fauteuil roulant, pratiqué l’aïkido et qui a décidé tel un samouraï de suivre cette éthique exemplaire qu’il admirait : « la droiture est le pouvoir de décider une certaine ligne de conduite en accord avec la raison, sans hésiter ; mourir lorsqu’il faut mourir, combattre quand il faut combattre ; “le courage est la vertu des héros…” c’est un réel courage de vivre lorsqu’il est juste de vivre et de mourir seulement lorsqu’il est juste de mourir ». Des phrases qu’il avait soulignées dans son livre préféré. « Rémy c’était mon Gandhi, et plus encore », disait de lui son ami Loïs.
RémY, l’enfant de Régine et de Jean-Pierre, le frère aîné de Claire, atteint d’une maladie rare, une maladie mitochondriale, au terme d’un difficile parcours de près de 20 ans (sa maladie s’est déclarée alors qu’il avait environ 5 ans) s’est donné la mort.
C’est parce qu’il aimait la vie que RémY l’a quittée. Il aurait sûrement fait sienne cette phrase d’Albert Camus : « On parle de la douleur de vivre mais c’est la douleur de ne pas vivre qu’il faut dire ». RémY est parti, espérant que son combat pour le suicide assisté continuera après lui.
Un livre dérangeant ? Non. Une histoire à nous faire tenir debout. Pourtant, depuis sa parution, quelle presse s’est emparée du combat de RémY ? Une « parution confidentielle » ?
Mais si ce livre dérange, c’est parce qu’il renvoie chacun de nous à ses fragilités, ses faiblesses (ses lâchetés ?). Dans un monde où les progrès de la science permettent une assistance médicalisée quand le corps ne suit plus, dans une souffrance souvent silencieuse, on ne croit pourtant plus, depuis bien longtemps, à l’acharnement thérapeutique. Et paradoxalement, un monde ou plutôt une société – puisque dans d’autres pays le suicide accompagné est légalisé – qui nous demande d’être toujours plus fort, d’être des héros ? – RémY l’avait bien intégré, un monde où la lâcheté n’a pas sa place.
Mais de quelle lâcheté et de quel courage parle-t-on ?
Nous nous devons toujours d’être plus fort ? d’affronter la maladie et la souffrance ? Mais la connaît-on toujours ? Être en fauteuil roulant justifie-t-il qu’on souffre plus qu’un d’autre qui ne l’est pas ? Est-ce un critère suffisant pour justifier un passage à l’acte ? Désespéré ? comme l’avait signifié un certain Bernard Debré à propos de RémY : « Il n’était même pas en fauteuil roulant, il était totalement valide ! J’en connais qui se battent ! » avait-il déclaré. En quoi, refuser de perdre sa dignité, en étant à charge quand tout est irréversible, est moins courageux ? Peut-on parler de courage, dès lors que notre corps ne répond plus et que nous n’avons plus les moyens de choisir, qu’il est réduit à subir, tandis que ceux qui sont responsables de ce corps immobile ont la conscience tranquille, lui apportant (peut-être contre sa volonté) les derniers soins pendant peut-être plusieurs années ?
« Maman… je te l’ai dit, j’ai beaucoup réfléchi. On ne connaît pas ma maladie, c’est sûr. Mais… si mon cervelet ou autre doit se détruire, je voulais te dire (oh, ces yeux ardents !) je compte sur toi. Tu te souviens du garçon sans cervelet à l’hôpital ? Je ne veux pas rester comme lui ».
Qui peut dire que vouloir libérer quelqu’un qu’on aime de sa souffrance soit un acte égoïste et lâche ? Qui dira que l’acte de RémY de quitter ce monde où tout sonne faux, soit celui d’un être sans courage ? Régine qui y avait pourtant bien songé (avec effroi) un jour où elle avait craqué, de tant de souffrances, se souvient, ce jour où il avait disparu. On l’avait cherché partout, il s’était réfugié « pour méditer » dans la forêt : « Je parviendrai à maîtriser la Force et à trouver ma Vérité ». [Elle] qui n’avait pas su le rassurer. Et [son] mari non plus. « Encore, je me suis dérobée. Je me souvenais trop de l’horreur éprouvée rien qu’à l’idée d’avoir pu y songer. Parler d’un geste d’amour est un moyen de se pardonner. Nécessaire et louable… »
Une autre fois, il avait voulu s’assurer qu’il pourrait faire confiance à sa mère pour l’aider à partir : « Ne m’en veux pas d’insister maman. C’est de moi qu’il s’agit, de ma vie, de ma souffrance, de ma déchéance. Ne pas savoir m’empêche de vivre en paix ». Ne pas savoir… si sa mère l’aiderait… Son angoisse d’être maintenu en vie contre son gré, à un stade avancé de la maladie.
Vivre ou survivre pendant une durée illimitée, comme Peter sur son lit, totalement assisté depuis plus de huit ans et dont RémY avait bien perçu la souffrance dans ce corps inerte.
« J’écris ces lignes brutes, près d’une année après, elles disent la réalité, celle d’une mort violente, traumatisante. Une mort par suicide », nous dit Régine.
Il faut lire le livre de RémY car RémY interpelle en chacun de nous notre conscience, que l’on reste sourd (par peur, par ignorance, ou par lâcheté) ou que l’on y ait déjà un peu réfléchi. Oui, il interroge la souffrance. Oui, il met à découvert les violences du milieu médical (et ses failles), les douleurs des proches impuissants, notre capacité à affronter, à accepter d’ouvrir les yeux sur des réalités qui pourraient bien être les nôtres demain. Mais il dit aussi l’amour et le respect pour la vie qu’avait RémY.
C’est un bel hommage à RémY que lui rend Régine dans une écriture d’une grande maîtrise littéraire et d’une grande poésie, d’une grande sérénité aussi, pour dire l’amour et la douceur d’une mère, l’audace d’un fils si attaché à la connaissance et aux livres, à la vie elle-même, d’un garçon qui avait tout d’un héros des temps modernes et nous en fait une démonstration magistrale.
Lisez ce livre, lisez le livre de Régine Salvat, la vie de RémY. Ce n’est pas une histoire qu’on vous raconte, c’est bien plus que cela, c’est RémY qui vous parle.
« N’aie pas peur, tu vas sortir de ta prison ».
Du seuil de la pièce, l’enfant tend la main vers la cage où il devine la présence de l’oiseau blessé. « Tu es comme moi, poursuit-il, mais ton ami est là pour t’aider ». (1)
Marie-Josée Desvignes
http://marie873.wix.com/autre-monde
(1) incipit
Lire l'article de Laurence Biava sur cet ouvrage : http://www.lacauselitteraire.fr/une-histoire-a-tenir-debout-regine-salvat
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