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Une fille et un flingue, Entretien avec Ollivier Pourriol, par Sophie Galabru

Ecrit par Sophie Galabru 20.10.16 dans La Une CED, Entretiens, Les Dossiers

Une fille et un flingue, Entretien avec Ollivier Pourriol, par Sophie Galabru

 

Ollivier Pourriol est philosophe et écrivain. Dès 2001 on le découvre comme romancier avec Mephisto valse, suivi de deux autres romans – Le Peintre au couteau en 2005, Polaroïde en 2006 – et en 2013 par une comédie sur l’univers de Canal+ intitulée On/Off. En août 2016, il publie son dernier livre, Une fille et un flingue, aux Editions Stock. On y découvre l’histoire des jeunes frères Koulechov, étudiants en cinéma, un peu voyous, un peu rêveurs, désireux de devenir eux aussi des noms du cinéma français. Pour y arriver, ils vont concevoir leur film comme on organise un hold-up, avec la complicité involontaire de Catherine D.

 

Sophie Galabru : Une fille et un flingue, ou Catherine Deneuve et un braquage, c’est ce qui suffit aux frères Koulechov pour concrétiser leur film. Est-ce l’histoire d’un amour pour le cinéma français ou d’une imposture ? Que veulent-ils au fond ? réaliser un film ou devenir célèbres ?

Ollivier Pourriol : Le rêve de cinéma, c’est le rêve de devenir personne. Quand on est au cinéma, on est dans l’obscurité de la salle, on est rendu anonyme et le vrai plaisir du cinéma est un plaisir d’effacement de soi, dans un univers qu’on n’a pas créé. Et si on veut passer de l’autre côté de l’écran, fabriquer du cinéma, on a besoin de beaucoup de moyens, de reconnaissance, de réseaux. Donc, pour faire ce quelque chose, on peut avoir l’impression qu’il faut déjà être quelqu’un. En même temps, si on regarde l’histoire du cinéma, on voit qu’elle est pleine de gens qui ne sont personne et qui parviennent à créer quelque chose. Le cinéma est un art qui a l’air de faire la promesse du raccourci. Le raccourci, le hold-up ou comment atteindre un but avec une accélération. En une heure et demie ou deux heures, n’importe qui peut devenir quelqu’un. C’est l’art le plus rapide en termes d’accomplissement des buts. Le cinéma entretient donc l’illusion chez le spectateur de la facilité. En voulant passer de l’autre côté, on a aussi cette illusion : le cinéma a la consistance d’un rêve, c’est l’art onirique par excellence. Dans le rêve, pas grand-chose ne résiste.

 

SG : Nous y redécouvrons votre talent pour les dialogues. Des dialogues savoureux tant par les voix qu’on y entend immédiatement que par le style assez direct et piquant. Vos personnages semblent tout de suite familiers, non seulement parce que certains nous renvoient à des personnes réelles mais aussi parce qu’ils manifestent tous des caractères marqués, des discours rythmés, offrant des pensées drôles, lucides, folles ou désespérées. Le dialogue est-il pour vous la façon la plus vivante de construire un univers, de dévoiler un individu ?

 

OP : C’est la matière la plus discrète et la plus vivante. Quand quelqu’un parle, on n’a pas l’impression de lire un livre. C’est le meilleur moyen d’effacer le médium et d’arriver directement au cœur d’un personnage. C’est aussi littérairement intéressant parce que le dialogue fait naître le monde mais du coin de l’œil. Quand on n’a que des dialogues, on sent que le monde existe mais qu’il faut l’imaginer. Les dialogues laissent le lecteur libre d’inventer leur décor, de participer au livre. Je propose une mise en scène, des paroles, et toute la construction imaginaire reste à faire, comme si je laissais les descriptions à la charge du lecteur.

 

SG : Vous pensez donc que les dialogues produisent davantage d’équivocité ?

 

OP : La description suppose un point de vue, une réduction des points de vue possibles, alors que si on laisse les dialogues flottants, l’univers autour est libre. C’est le corps imaginaire des personnages qui fait naître le décor autour d’eux. Il n’y a que dans un livre qu’on peut faire ça ou dans une salle de cinéma devant un film de Duras… J’ai voulu un livre qui fasse naître la réalité par les seules voix.

 

SG : Vous utilisez en effet des noms déjà célèbres pour vos personnages de fiction. N’était-il pas risqué de recourir à des individus réels, déjà dotés d’une histoire et d’une image ?

 

OP : C’est un risque et une facilité. On sait qu’on peut compter sur Deneuve et Depardieu parce qu’ils ne sont pas simplement réels mais possibles. En eux, il y a une possibilité pour l’imaginaire, parce que ce sont des acteurs qui aiment la fiction et qui peuvent être les vecteurs de n’importe quel imaginaire. Ils véhiculent aussi un certain passé du cinéma qui les met en contact avec des grandes figures, comme Jean Gabin, Michèle Morgan. Depardieu et Deneuve ce n’est pas juste Depardieu et Deneuve, c’est aussi Gabin et Morgan.

 

SG : Il existe une lutte revendiquée entre le pouvoir des mots et des images. Dimitri commence pas nous dire qu’il n’aime pas les mots et préfère le pouvoir de l’image, voire de l’action sur le bavardage. Pourtant, lui-même parle beaucoup et se laisse abuser par les discours de Depardieu. Qui gagne à la fin, le mot ou l’image ?

 

OP : Dimitri ne dit pas qu’il n’aime pas les mots mais que ce n’est pas son truc. Ce qui compte, ce sont les images. C’est la dernière phrase de La Grande Bellezza : « C’est seulement un truc ». Un truc, c’est aussi un truc de magicien. Les mots ont toujours permis de convoquer des images, même avant la naissance du cinéma, à travers les figures de style notamment. Les grandes images, comme a pu l’analyser Bachelard, s’ancrent dans la réalité la plus matérielle, voire élémentaire : les images du feu, de la terre, de l’air, de l’eau… Chaque type d’image convoque des sensations, les images sont des accélérateurs du psychisme. L’imaginaire est dynamique. Les mots font naître depuis toujours des images dans la psyché, et un livre a toujours été plein d’images. Qui gagne à la fin ? Ce que j’ai essayé de faire c’est un livre qui par le seul pouvoir des mots offre la texture d’un rêve de cinéma. Les mots sont des images rêvées et non réelles. C’est la supériorité de l’imagination sur l’image.

 

SG : Dimitri nous dit quand même au début du livre « les mots ça vaut rien » !

 

OP : Oui, c’est une phrase-clé du livre. Si « les mots ça vaut rien » c’est donc « dans nos moyens ». On peut avoir l’impression que c’est une insulte mais c’est tout le contraire, ça permet la création. Parce que ça ne vaut rien, ça appartient à tout le monde. Dimitri est du côté des images contre les mots. Aliocha, lui, est du côté des mots, de la poésie. Il y en a un du côté de l’image filmée et l’autre du côté de l’image poétique, mais les deux sont frères. Ils sont les deux pôles d’un courant électrique et c’est pourquoi ils peuvent marcher main dans la main pour ouvrir l’espace d’une histoire qui donne à voir et à imaginer.

 

SG : Dimitri et Aliocha Koulechov sont les deux héros de votre histoire. Pouvons-nous y voir des frères Karamazov sur le retour ? A-t-on affaire à un taiseux spirituel (Aliocha) et un voyou romanesque (Dimitri) ?

 

OP : Oui complètement. J’ai fait la même chose que lorsque j’ai pris Deneuve et Depardieu pour utiliser leur passé et être immédiatement en mouvement. J’ai emprunté les prénoms de deux personnages qui portent en eux un passé littéraire. Ce sont deux emprunts, qui sont eux empreints d’une promesse littéraire. Il y a aussi cet imaginaire russe associé à Depardieu, c’est presque un lien naturel. De la même façon que Gabin s’intéresse au jeune voyou qu’incarne Delon dans Mélodie en sous-sol pour en faire son fils de cinéma, ces deux frères s’attachent à Depardieu qui va en faire des enfants de l’image. Et puis, l’effet Koulechov se fait à deux : seul, aucun des deux frères ne peut être en mouvement. Il y en a un qui est voyou et l’autre cultivé. Mais les deux ensemble font le cinéma.

 

SG : D’ailleurs, Dimitri dit à propos de son frère « la culture ça rend timide », c’est une phrase qui intrigue.

 

OP : Etre cultivé, c’est être voué à admirer. Quand on admire Shakespeare on n’ose pas écrire. L’admiration est essentiellement passive, même si c’est une belle passivité, celle des plantes, arbres…

 

SG : Les producteurs, réalisateurs, acteurs qui croisent les frères Koulechov ont foi en leur jeunesse et en leur patronyme. Le lecteur assiste alors à un vaste jeu de miroirs, dans lequel chacun croit en l’autre : les frères croient en Guy-Dominique, Gégé, Madeleine, Luc Besson. Catherine D. croit en eux parce qu’ils sont jeunes, audacieux, et prétendent avoir Depardieu dans leur distribution. Madeleine, la productrice croit en leur film et en ses têtes d’affiche. Au final, pouvons-nous dire que tout le monde est trompé et aime ça ? Il n’y a que des cinéphiles et des acteurs pour aimer être manipulés de la sorte, vous ne trouvez pas ?

 

OP : Oui, il est vrai que c’est un jeu de miroirs. Chacun voit en l’autre une promesse. Chacun rêve éveillé et chacun rêve de cinéma. Un rêve par définition n’est pas la réalité mais cette croyance au cinéma peut devenir une prophétie auto-réalisatrice. Le cinéma est une industrie du rêve, elle doit être faite par des rêveurs mais qui ont les pieds sur terre et qui rêvent ensemble. Même les plus « coquins » rêvent de cinéma. Et peut-être même que ceux qui rêvent d’argent par le cinéma sont de grands rêveurs, parce qu’il pensent qu’un rêve digne de ce nom doit rapporter de l’argent. Un film, c’est un mensonge qui veut réussir, qui tente de rentrer en compétition avec la réalité. Un escroc croit à la fiction puisqu’il essaye d’en vivre. Et sa fiction doit être efficace : si son public ne le croit pas, c’est la prison.

 

 

 

SG : Vous construisez une intrigue centrée sur cette envie de faire un film. Cette ambition devient l’occasion d’une initiation au monde du cinéma, de sa production, de ses leurres, et peut-être plus largement de la vie. On peut avoir le sentiment que le cinéma est pour vous la métaphore de l’existence qu’on vit comme une série de bluffs ou comme un hold-up. Est-ce là le fond du livre ?

 

OP : Oui et non. Le cinéma propose une intensification de l’existence. Il propose de l’élever au statut de rêve ou « de monde qui s’accorde à nos désirs » comme le dit André Bazin. Mais cela reste une existence rêvée. C’est plutôt une exploration d’une zone très particulière de l’existence, un peu comme un zoo, à l’intérieur duquel on aurait une concentration de personnes qui confondraient volontairement l’existence et le cinéma. Ce n’est pas une métaphore générale, c’est la description d’un milieu qui se rêve comme métaphore générale. Les gens du cinéma pensent que tout est cinéma. Pendant le temps du film où on se prête à leur jeu, on partage cette fiction avec bonheur. Il y a une incompatibilité entre le réel et le cinéma, mais il y a des liens et même une contamination entre les deux. Cette contamination se manifeste par exemple par le fait que depuis l’invention du cinéma nos outils de perception ont été augmentés par ce que Walter Benjamin appelle l’inconscient visuel. Inconsciemment, nos attentes perceptives sont modifiées. Même dans la vie de tous les jours, on attend du gros plan, du travelling… Comme si le cinéma avait fait naître une pénurie de réalité qui ne serait possible à combler qu’en prenant chaque jour sa dose de cinéma ou de fiction. C’est pour cela qu’il y a Netflix. Il faut que le temps qu’on passe à vivre réellement soit le plus cinématographique possible.

 

SG : Certains réalisateurs ont cherché à incarner des questions philosophiques dans leurs films, liant ainsi image et concept. Dans « Ma nuit chez Maud », Rohmer fait de son personnage principal un défenseur du pari de Pascal. Ici, vous semblez perpétuer ce geste en mettant du Marx, du Pascal dans la bouche de Depardieu, du Hegel dans celle de Besson. Quelle place a la philosophie dans le cinéma ?

 

OP : C’est d’abord un usage comique. Depardieu qui fait un petit cours sur Marx, c’est un clin d’œil à la Russie qui a fait une entrée massive dans sa vie. Si je lui fais dire « le concept de chien n’aboie pas », on comprend qu’on peut faire faire n’importe quoi au mot Depardieu ; d’où les libertés que je prends dans le livre. Il y a aussi « le pari de Gérard » qui remplace le pari de Pascal, mais c’est une manière de montrer la noblesse de ce pari. Ceux qui parient tout leur argent pour produire un film sans assurance de récupérer leur mise ont une grandeur par opposition à la mesquinerie de ceux qui restent enfermés dans leur chambre en faisant le pari d’une existence sans divertissement.

 

SG : Vous nous offrez de vraies répliques directes et flinguantes – sans mauvais jeu de mots – des phrases comme « L’amour, ça commence pas toujours réciproque, ça veut pas dire que c’en est pas » ou « Pour l’instant rien n’a été commis, mais la vérité c’est comme les cigarettes, c’est mieux avec un filtre ». Avez-vous la nostalgie d’un certain cinéma, celui de Audiard par exemple ?

 

OP : Pas de nostalgie, car c’est toujours présent. Dans le livre, je veux faire tenir à chaque personnage sa promesse. La promesse de Depardieu, c’est la promesse de passer par ce style de réplique qui appartient effectivement à un certain cinéma français qui obéit à la loi du genre. Cela permet de s’inscrire dans un genre littéraire et cinématographique : la série B, le polar. On est dans une histoire de hold-up, il y a donc la richesse de l’argot. C’est une promesse de plaisir littéraire qui se situe pour moi entre Audiard et Émile Ajar. Ce n’est pas juste le parler voyou ce qui m’intéresse vraiment, c’est la maladresse d’expression qui retombe sur ses pieds.

 

SG : Votre livre comporte des styles divers mais aussi des genres littéraires différents, mélangeant poèmes, lettres, écrit biblique, extraits de scripts, auditions de police. Pourquoi ce choix d’avoir intégré autant de formes dans le roman ?

 

OP : Le roman a une forme libre. Cela devrait être la forme la plus apte à capter le moment ou l’esprit de l’époque. L’esprit de l’époque est entre le zapping et le costume d’Arlequin. Dans le livre il y a une promesse de variété, de divertissement, une promesse pop d’associations entre un poème de Jules Laforgue, de Cendrars, un PV d’audition, un morceau de scénario. L’esthétique générale c’est le collage, mais avec une histoire ; donc plutôt un montage. Un coup monté…

 

SG : La façon dont le film des frères Koulechov se déroule implique des moyens simples et sophistiqués. Pensez-vous que ces nouvelles techniques de réalisation engagent un autre cinéma ?

 

OP : Ils n’ont qu’un simple téléphone portable. Ce n’est pas très sophistiqué. En même temps, comme nous le fait remarquer Michel Serres, avoir un téléphone portable c’est avoir plus de pouvoir qu’Alexandre le Grand, c’est avoir le monde en main, « main tenant ». Tout le monde a un téléphone, tout le monde a un tel pouvoir. La possibilité du hold-up est dans la poche de chacun. Cela engage un autre type de production, de diffusion. Il y a donc une réflexion sur ce que le cinéma est en train de devenir en étant déterminé par l’apparition des mobiles. C’est une question que tout le monde se pose. Cela change la façon de raconter une histoire, de la partager, de la détourner.

 

SG : Nous trouvons la figure de Depardieu, fidèle à lui-même, donnant des conseils ou plutôt des tours de passe-passe aux deux jeunes étudiants. De qui Gégé est-il la voix dans ce tableau critique du cinéma ?

 

OP : Gégé c’est d’abord sa propre voix. J’ai essayé d’être fidèle à ce que Depardieu a l’air de dire et de penser du cinéma : à la fois un rêve de cinéma qui date de gens comme Truffaut, et la fin de ce monde. La grandeur de Depardieu c’est d’être passé de Truffaut à Saint Augustin. On a l’impression qu’il est la pythie de Delphes. Même quand il semble irrationnel, il dit quelque chose qui donne à penser. Il est traversé par des forces plus grandes que lui, c’est pourquoi je lui fais réciter du Cendrars. Il incarne cette idée d’une vie qui nous déborde.

 

SG : En lisant votre livre, j’ai eu le sentiment que pour vous, le cinéma c’est beaucoup plus que le cinéma. Aller voir un film c’est pour les frères Koulechov être « dans le noir, au chaud, dans l’histoire », en sortir c’est se dire « qu’on n’existe pas. Pas encore. Pas vraiment ». On dirait que pour tous ces personnages, être dans un film, c’est raviver son sentiment de vivre. C’est un accélérateur d’existence ?

 

OP : Cela ressemble à un stupéfiant : ça intensifie l’existence et ça crée du manque dans la réalité. Cet écart fait naître du désir de cinéma, d’en voir et d’en faire. Le cinéma est unique en cela qu’il permet de voir une transformation massive de l’être sur un temps court, alors que toutes les vraies transformations sont lentes. Les séries télé s’inscrivent dans la durée et ressemblent au chemin d’un fleuve, il y a des régressions, ça serpente. Alors que le cinéma ça frappe, ça court-circuite, ça fracasse. Le cinéma, avec le succès grandissant des séries télé, se retrouve dans une position unique pour produire des mythes. Et ce mythe c’est celui de la métamorphose. Il y a un rêve de métamorphose au cinéma. Dès que la lumière s’éteint, on rêve de renaître autre et on le devient pendant le temps du film. La question c’est : est-ce que lorsqu’on sort de la salle on retrouve son existence d’avant ? Si oui, comment ? Pour ma part, je crois que nous ne sommes pas modifiés dans notre réalité mais dans nos références. L’idée de ce qui est possible a été modifiée en nous. Aller au cinéma, c’est vérifier ça. On s’enrichit de vies possibles. Les films existent et vivent en nous ; ils nous offrent des regards sur notre vie. C’est Serge Daney qui disait que ce n’est pas nous qui regardons les films vieillir, mais eux qui nous regardent vieillir, les films nous regardent. Dans ce livre, je voulais faire sentir ça : la manière dont les films nous regardent nous donne envie d’exister différemment.

 

Entretien réalisé par Sophie Galabru

 

Extrait d’une Fille et un Flingue d’Ollivier Pourriol, Editions Stock, p.59 :

Madeleine, une productrice, s’adresse aux frères Koulechov :

« Il me dit toujours : il faut être fou pour faire des films. C’est comme les enfants : si on réfléchissait deux secondes, on n’en ferait pas. On resterait tranquilles dans notre chambre sans divertissement, une soupe, un yaourt et au lit ! Mais nous ce qu’on aime, c’est les nuits d’insomnie, les draps trempés de sueur froide, les rendez-vous de la dernière chance avec tel financier improbable sorti de la manche de je ne sais qui, et qui peut sauver la baraque la veille du tournage, alors que vous avez déjà hypothéqué votre âme, et menti à tout le monde pour faire votre film. On est tous un peu borderline – comme des banquiers mais sans Surmoi, plutôt comme des traders, ou des interdits de casino.

Pourquoi j’aime ça ? C’est un mystère, une addiction. Les hauts sont très hauts, les bas sont très bas, au moins on ne s’ennuie pas. Toutes les émotions se mêlent, la peur, le désir, la tristesse, le plaisir, la honte, la joie, c’est une loi de la vie : tout ce qui a du goût est un peu dégoûtant aussi, au début, le gras dans la viande, la moelle dans les os, la moisissure dans le fromage, dans le vin on dit pourriture noble. Dans le cinéma, je n’ai pas honte de le dire, j’aime tout ».

 


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A propos du rédacteur

Sophie Galabru

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Rédactrice

Sophie Galabru est agrégée et docteure en philosophie. Ses recherches portent notamment sur la phénoménologie (en particulier l’œuvre d’Emmanuel Levinas), la philosophie du temps et de la narration.