Une femme fuyant l'annonce, David Grossman
Une femme fuyant l’annonce, traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen, Août 2011, 666 p. 22,50€
Ecrivain(s): David Grossman Edition: SeuilCe n’est pas un livre, c’est un choc. Un bouleversement, un éboulis et une résurgence, ou si l’on préfère, un effondrement et une résurrection. Tous les mouvements de la vie, superbement traduits, une partition.
Ora est cette « femme fuyant l’annonce » de l’éventuelle mort de son second fils, Ofer, au cours d’une opération spéciale pour laquelle, sa période terminée, il s’est porté volontaire. Ora, qui avait prévu de faire une randonnée en Galilée avec lui décide alors d’engager le destin : sa manière à elle de repousser des deux mains la porte sur ce qu’elle refuse de voir advenir. Entraînant de force avec elle Avram, père caché d’Ofer qu’il a toujours refusé de voir, elle se lance dans une pérégrination au cœur de paysages sublimes, enchanteurs, paradisiaques, éclatant de couleurs, baptismaux : « (…) En Israël, les chemins émettent des sons que je n’ai entendus nulle part ailleurs (…) » dit Ora, alors qu’Avram lui répond « tu veux dire que (…) le langage germerait de la terre ? » (p. 504).
S’imaginant conjurer le sort en racontant la vie d’Ofer à son père, nouant le fil et tissant la trame, en le disant elle espère le protéger : tant que l’évocation d’Ofer planera sur leur randonnée, rien ne lui arrivera, il faut détourner de lui le mauvais sort :
« Elle ne doit pas rester assise. Ne pas être la cible immobile du faisceau lumineux braqué sur elle, de l’immense filet de pêcheur qui se tend lentement au-dessus de sa tête » (p. 91). La fuite d’Ora, l’exact pendant du rire de Sarah apprenant la conception prochaine d’Isaac, discrètement évoquée, dans cette terre jamais apaisée, les deux versants, les deux visions d’une annonciation : « Elle sent (Ofer) dans son ventre, sous son cœur, un point sensible sombre et fébrile. Il bouge, remue, se retourne en elle… »
Et le doute, affreux, qui vient parfois s’insinuer en Ora alors qu’en racontant Ofer à Avram ses paroles le tiennent en vie, à l’abri.
Et entre le paysage et les mots se dévoile, se dessine et se reprend le chant du monde, de l’oubli et du recommencement.
Anne Morin
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