Une bibliothèque idéale, Hermann Hesse
Une bibliothèque idéale, trad. (All.) et préfacé par Nicole Waquet, 19 septembre 2012, 135 p. 7 €
Ecrivain(s): Hermann Hesse Edition: Rivages poche
Hermann Hesse, écrivain et lecteur inlassable ne se propose pas dans ce livre de nous dresser une liste universelle des livres qu’il faudrait avoir lus. Même si dans un chapitre il nous « raconte » sa bibliothèque, et nous dit sa préférence pour les auteurs allemands du XIXème siècle et sa passion pour la pensée hindouiste et chinoise, il veut avant tout rappeler combien la littérature n’est pas à côté de la vie, mais constitue l’essence même de celle-ci. Nous vivons une époque où la culture elle-même semble s’effriter au profit de valeurs marchandes, or affirme-t-il, « elle possède sa rétribution en elle-même : elle accroît la joie de vivre et la confiance en soi ; elle nous rend plus gais, plus heureux ; elle nous procure un sentiment de santé et de sécurité plus intense ».
La lecture participe à la construction même de l’individu. L’homme s’approprie sa propre bibliothèque comme il décide sa manière d’appartenir au monde dans lequel il vit.
« La lecture n’est pas une distraction, en aucun cas, mais une concentration ». Personne ne peut te dire ce que tu dois lire, tu dois par toi-même te frayer un chemin parmi tous ces auteurs qui s’adressent à toi. Le dialogue n’est pas « préfabriqué », c’est toi-même qui crées un va et vient, d’une parole à une autre, d’un auteur à l’autre. Tu choisis tes interlocuteurs, mais en gardant la capacité de t’étonner. Lecteur, tu te laisses surprendre. La littérature vit en toi. « Le lecteur n’a pas à suivre un schéma ou un programme culturel. Il doit emprunter le chemin de l’amour, non celui du devoir ». Tu peux commencer par « un manuel scolaire ou l’almanach et finir par lire Goethe, Dante ou Shakespeare ».
Hermann Hesse raconte le bonheur de se constituer sa propre bibliothèque, d’être à la recherche d’éditions rares ou de guetter les dernières traductions. « C’est un sport passionnant » affirme-t-il. Attention, il ne s’agit pas de décorer une pièce avec ta bibliothèque, l’important est le contenu du livre, non le papier ou l’homogénéité extérieure que présenterait une édition des classiques.
A travers sa propre expérience de lecteur, c’est sa vie qu’il déroule devant nous « Bien des années plus tard mûri par l’expérience et les lectures, je me sentis de nouveau attiré par un autre domaine de l’histoire des idées, celui de l’Inde ancienne » ou « Grâce à mon père je connaissais déjà Lao-Tseu dans la traduction de Grill (…) ».
La lecture te donne accès aux événements et aux personnes, mais surtout c’est un lieu de rencontres avec les auteurs. « L’influence du livre se fera vraiment sentir à partir du moment où il nous a captivés d’une manière ou d’une autre, lorsque nous commençons à établir un rapport avec l’auteur ». La lecture se fait dans l’humilité d’une écoute et d’une volonté de comprendre, il faut apprendre à recevoir. Nous sommes loin du bruit de la communication.
Quant à l’écrivain, c’est celui qui ouvre l’œil et attend son heure sans chercher la célébrité. Pour Hermann Hesse, écrire n’est pas un métier, il ne s’agit pas de commenter ce que l’on vit à la manière de « décorateurs sentimentaux ». Ecrire, permet d’être plus lucide et « d’aiguiser votre conscience ». Hermann Hesse, tout au long de ce livre, insiste sur l’enchevêtrement entre lecture, écriture et vie. Les livres ne doivent pas remplacer la vie mais y mener et la renouveler constamment.
L’auteur est très critique sur notre époque qui « désacralise le livre et oublie sa fonction ancestrale de transmission ». Il porte un regard acerbe sur une sorte de « démocratisation commerciale » du livre, il affirme finalement que « les véritables lecteurs » sont peu nombreux car ils doivent passer par une ascèse où le livre à un moment donné disparaît « Arrête-toi, ne serait-ce qu’une seule fois, en ce lieu où la pierre qui borde le chemin a autant de signification pour toi qu’elle en a pour Goethe et Tolstoï ». C’est comme si le lecteur devenait un point de l’univers…
Mais ce n’est qu’une étape vers une lecture plus dense et plus sage.
Zoé Tisset
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