Une année à Venise, Lauren Elkin
Une année à Venise, Avril 2012, trad. USA par Jean Lineker, 334 p. 22 €
Ecrivain(s): Lauren Elkin Edition: Héloïse D'OrmessonOscillant entre la terre ferme et l’eau, entre la certitude, les certitudes, une vie toute tracée où n’affleurent même pas les questions, et l’incertitude, les questions sans réponse, le flottement. Entre Charles, son fiancé éditeur américain de l’upper middle class, et Marco, le batelier vénitien qui s’invente une histoire de vengeance, fuyant avenir et passé, Catherine hésite, Catherine balance : « je suis allée à Venise parce que Venise est un libro d’ore. Un livre d’heures. Un livre doré » (p.14).
Au fond d’elle-même, en quête d’elle-même, des failles s’ouvrent, profondes, où elle s’interroge. D’un côté, New York, le nouveau monde, engoncé dans un monolithisme étouffant, de l’autre Venise, l’ancien monde, berceau flottant, épave ? Les deux, peut-être, où passé et avenir se rejoignent, se joignent et se distendent, se distancient.
Doctorante, Catherine s’interroge sur ses racines. Dans une ville qui prend pied sur l’eau, elle ne choisit pas par hasard pour aimer y vivre, le seul quartier ferme : le Dorsoduro. Par l’eau – et Marco servira de passeur –, Catherine et Neva, une Croate en quête de la scuola segreta de ses ancêtres, ré-inventeront une très ancienne synagogue entre immersion et émersion aux magnifiques mosaïques : « Je savais que c’était à Venise, et dans un endroit improbable » dira Neva (p.136).
Telle la conception même de la mosaïque, telle Venise lovée en escargot, étoilant autour de ses ponts : « Vous savez d’où vient le mot “Venetia” ? me demande-t-elle. Je secoue la tête. “Veni etiam, dit-elle. Reviens” » (p.282-283). Tel le serpent se mordant la queue, cherchant qui dévorer ou le signe mercuriel, les personnages tournent autour de leur histoire sans ferme propos : « Longtemps les historiens de l’art ont pensé que les motifs – des mosaïques – étaient créés avec une règle, un compas et une bonne dose de patience. Mais on a toujours subodoré – et les recherches actuelles tendent à le prouver – que des principes mathématiques très évolués gouvernaient la disposition des éléments, des motifs et des images qui en résultaient » (p.161-162).
Après décantation, Marco rompant les amarres, Catherine entrant en mortes eaux, Neva coulant dans son passé baptismal, la vie se remet à flot, recomposant pour eux une figure, un motif inattendus. Le destin ne fige jamais : « La voix d’Aharon détache les voyelles comme l’on coupe une branche sur son genou pour en faire du petit bois. Il parle en notre nom à tous.
Marco serre ma main de plus en plus fort.
Puis l’étreinte se fait douce » (p.334).
Anne Morin
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