Une Anglaise à Paris, Nancy Mitford
Une Anglaise à Paris, 2008 (trad. française Jean-Noël Liaut) et 2010 (version poche), 153 pages, 6,60 €
Ecrivain(s): Nancy Mitford Edition: Payot
Dans Une Anglaise à Paris, Nancy Mitford, écrivain et femme du monde anglaise née en 1903, nous offre un voyage inédit dans le temps pour découvrir le Paris d’après-guerre, à travers ses chroniques écrites entre 1948 et 1968. Il est toujours enrichissant d’observer son pays à travers le regard d’un étranger pour apprendre à mieux se connaître, surtout lorsque ce regard est coloré d’humour anglais.
Si comme dans les années 50, les bouquinistes assurent encore une présence rassurante sur les quais de Seine, on ne peut désormais plus surprendre un vitrier qui parcourt Paris avec une lourde vitre sur le dos ou encore mieux, un troupeau de chèvres que l’on trait sur le trottoir. Heureusement les intérieurs des taxis ont changé « depuis la bataille de Marne » (surtout depuis qu’Uber est arrivé). Et nous n’entendons plus les voix assassines des téléphonistes qui disent « Allô ! J’écoute… ». A cette époque, les plus prometteurs des écrivains étaient Mme Colette et Mr Cocteau. Picasso était le peintre incontournable et on allait se distraire dans les pièces de théâtre de Mr Guitry.
Nancy Mitford a séjourné pendant 20 ans dans le 7ème arrondissement parisien, plus précisément au rez-de-chaussée du numéro 7 de la rue Monsieur. Malgré ce séjour prolongé dans ce quartier très chic, Miss Mitford semble émettre des doutes sur l’élégance parisienne. On ne sait en effet comment interpréter son constat à propos des femmes parisiennes : « En Angleterre les femmes sont élégantes jusqu’à l’âge de 10 ans et parfaites dans les grandes occasions ; en France quelques femmes seulement sont toujours parfaitement élégantes ». Vaut-il mieux alors avoir de nombreuses femmes parfaites ou seulement quelques femmes élégantes ? L’ironie anglaise reste toujours difficile à décoder.
Notre écrivaine mondaine nous apprend que pour le centenaire de la mort de Balzac (soit en 1950), toutes les vitrines du boulevard Saint-Germain avaient été décorées avec des scènes des romans de Balzac dans l’esprit des étudiants des Beaux-Arts. On pouvait y admirer un Picasso en peintre Bridau, un André Breton en alchimiste Claës ou encore une Simone de Beauvoir en Félicité des Touches… C’était une autre époque où la littérature pouvait encore rivaliser avec les boutiques de luxe.
Au fil des pages, on se rend compte néanmoins qu’il y a des choses qui n’ont pas trop changé depuis 1950… Est-ce rassurant ? Dans tous les cas, on sourit quand Nancy Mitford évoque des « Français intelligents et colériques ». La culture nerveuse du volant n’a pas vraiment évolué depuis 1950. « Il n’est pas dans leur nature de rester calmement assis au volant ». « Ils klaxonnent, hurlent et s’extirpent de leur véhicule avant de s’élancer sur le trottoir pour voir ce qui se passe ». Seul changement dans les mœurs : les chauffeurs de bus n’ont plus de coup de foudre pour la concierge qui demeure assise avec son tricot pendant des heures afin d’apercevoir son beau chauffeur. Meetic et ses voisins 3.0 ont tout balayé. Les rues continuent de klaxonner, mais avec moins de poésie.
Miss Mitford constate également que la bonne vieille formule « Je t’accuse d’inculture » reste la pire des insultes que peut faire un Français à un compatriote. Aujourd’hui, cela reste encore une insulte relativement redoutable.
Les discussions de café du commerce vont toujours bon train dans les bistrots parisiens et les problématiques n’ont pas tellement évolué : en 1953 un serveur se plaignait que les allocations familiales venaient d’être supprimées pour les enfants de plus de 5 ans. Les débats sur les aides sociales restent un sujet privilégié des Français. En revanche, ce qui a bien changé, c’est que les enfants ne commencent pas à boire un verre de vin à 5 ans, contrairement à ce qu’indique le serveur en 1953…
Dans certains passages, on redécouvre l’origine des noms de certaines rues, ces rues dont on ignore l’histoire à cause de nos pas stressés dénués de tout regard curieux. On y apprend par exemple que la rue du cherche-midi provient de l’expression « cherche-midi » qui signifiait à l’époque « pique-assiette ». Connotation très surprenante pour cette chic rue du 6ème arrondissement.
En mai 68, Miss Mitford est interloquée par les étudiants manifestants qui lui font penser à des « poulets dont on a coupé la tête », qui courent et tournent en rond sans but. Elle se moque d’ailleurs des connotations des noms des étudiants « Sauvageot » et de « Cohn-Bandit », qu’elle décrit comme « un petit anarchiste énergique et bondissant ». Serait-ce toutes ces agitations de 68 qui la poussent à plier bagage pour Versailles ? Les chroniques ne le disent pas mais il semblerait que cela soit plutôt pour se rapprocher de son amant Gaston Palewski.
Nancy Mitford, en s’inspirant de la théorie de l’historien Michelet, semble alors résumer la culture française en deux catégories : les Francs et les Gaulois. « Sérieux, austères, les Francs bâtissent. Drôle, cyniques, intelligents et frivoles, les Gaulois détruisent. On leur doit la moitié des plaisirs de l’existence même s’il vaut mieux être gouverné par des Francs ».
Même si cette dichotomie est très caricaturale, on se demande encore en 2016 lequel des deux camps, Francs ou Gaulois, va remporter la bataille ? Le jeu reste très serré.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
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