Un voyage en fragments - à propos de Hellade, de Bernard Grasset
Hellade, Bernard Grasset, éd. Le Lavoir Saint-Martin, novembre 2015, 119 pages, 15 €
Socrate et Platon Saint Paul
Morale et philosophie Exégèse
Je connaissais Bernard Grasset pour ses traductions de l’hébreu et du grec, et j’ai déjà écrit quelques notes sur ses travaux. Aujourd’hui, je voudrais évoquer mon chemin de lecture avec Hellade, le dernier livre de l’auteur, dont la photographie de couverture – méditerranée, et îles grecques sans doute – évoque très vite de quoi il s’agit. Comme la photographie de couverture de l’ouvrage et le titre nous invitent au voyage, j’ai pensé assez vite au voyage en Italie de Montaigne, qui partait pour les eaux italiennes et allemandes avec son valet, valet d’ailleurs qui lui a donné du souci. Mais, même si ce livre prend la forme d’un journal, il est rapidement apparent que l’objet fini a été élaboré en plusieurs étapes car peu de notes brutes sont livrées au lecteur. Et puis, la quantité de citations grecques demandaient sûrement un séjour dans la bibliothèque de l’artiste. D’ailleurs, l’auteur indique à la première ligne le bureau où il écrit, non loin de son fils qui joue du piano-orgue.
C’est une façon très particulière de traiter le récit de voyage. Plutôt que de faire la description des lieux, Bernard Grasset nous porte vers un régime littéraire de récit agencé par de nombreuses citations, qui lui permettent de souligner son attachement à l’hellénisme. L’auteur en fait presque un style. Et il est vrai que l’impression générale au sortir de l’ouvrage est celle d’une œuvre en fragments, faite de courtes sentences héraclitéennes qui sont souvent très judicieuses et profondes. Donc, récit de voyage matériel et immatériel. D’ailleurs, c’est autant un voyage géographique, que historique ou esthétique.
Je connais la Grèce, plutôt les îles et surtout la Crète, peu le Péloponnèse. Cependant, le récit nous présente des choses presque familières, car appartenant de fait en propre à la culture européenne. Donc, la lecture agrandit la description des temples et théâtres grecs à l’univers de la pensée et des arts, et sollicitent une intellection, et en ce sens, rend le lecteur actif. Nous sommes témoins d’un tressage d’aphorismes, de souvenirs vécus ou réécrits, du travail de mémoire de l’auteur de ses propres lectures d’Euripide ou de Pindare, qui débouchent sur des réflexions à brûle-pourpoint sur les grandes catégories de notre métaphysique, et cela avec assez de légèreté.
Promenade vespérale en contrebas de l’Acropole. Apostolou Paulou, Dionissiou Aréopagitou. Dans une église on célébrait un culte orthodoxe. Icônes et bougies. « Et notre cœur sera plein de tant de lumière/Tant de calme descendra des fenêtres du ciel ». Des femmes et des hommes vont au long des heures. La juste parole se sertit de silence. « Loin de nous les querelles, les propos futiles et oiseux ». Qui sommes-nous, qui sont-ils, qui étaient les Grecs avides de sagesse ?
J’ai donc suivi les pas de Bernard Grasset depuis la Vendée, et dans différents transports terrestres ou maritimes jusqu’à Athènes. Et j’ai partagé grâce au livre, le lien de filiation avec son fils dont les sentiments sont très beaux. Ce qui ne m’a pas empêché de me rappeler ma lecture de Nietzsche, lequel a souvent été pour moi un guide pour ma pensée, le Nietzsche de la Naissance de la tragédie et de son évocation de Dionysos Zagreus, figure reprise peut-être inconsciemment par Pasolini quand il filme un sacrifice humain en guise de rite de fertilité, dans les premières images de sa Médée.
Paysage scintillant. Musée. Sanctuaire d’Asclépios. Nous marchons au milieu des blocs de pierre, cherchant le sens. Sacrifices, rêves, offrande… Temple. Lourdes antique. Asclépios était le dieu de la médecine. Les pèlerins venaient de partout demander la guérison, un miracle. Epidaure : le plus célèbre sanctuaire d’Asclépios. Art et sacré. Du sanctuaire où se dresse l’autel du dieu le théâtre ne se dissocie pas. Un grand art tragique peut-il renaître aujourd’hui ? Qu’est devenue la culture européenne ? Un grand art qui puiserait dans les profondeurs de l’existence et ouvrirait une porte sur le sacré…
Et comme dans tout récit de voyage on partage le pain – au sens propre et figuré – de l’aventure personnelle de l’auteur et de son fils dans ce pays qui représente quand même la dernière porte avant l’Afrique ou le Proche Orient, et donc, seuil de l’étrange ou de l’étranger, de cet Autre, de l’aubain.
Didier Ayres
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