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Un refuge autre que l’exil, Theombogü (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) le 24.05.23 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Un refuge autre que l’exil, Theombogü, Éditions du Cygne, Coll. Voix au poème, février 2023, 60 pages, 10 €

Un refuge autre que l’exil, Theombogü (par Murielle Compère-Demarcy)

 

Dès le début, avec un texte d’ouverture dédié au « pays » (le Cameroun), le lecteur comprend que l’exil était acté pour l’auteur de ce livre publié aux éditions du Cygne. Au fil des pages l’on entend le cœur d’un homme terrassé par la terreur, aux « frontières de cet immense pays tracées avec le sang des dominés subversifs » :

Au départ…

Ce n’était qu’une grève, une protestation, une revendication…

Et ils sont venus avec leurs armes. Ils ont demandé à tout le monde de se mettre à plat ventre, les deux mains posées sur la nuque.

Ils ont tiré… tiré… tiré… Huit cent mille déplacés… Quatre cent mille exilés… Quinze mille prisonniers… Cent mille morts…

« Déplacés », « exilés », « prisonniers », plus loin « migrants »… les textes nous immergent dans l’atrocité subie par des hommes obligés de fuir leur pays et ne trouvant pas de terre où se sentir vivre au bout de leur fuite. Au point de devenir « personne » et de s’identifier ainsi :

Déjà je ne suis pas un migrant. Je voudrais que tu le saches. J’ai ma carte d’identité. Seulement, elle ne ressemble pas à la tienne.

Je ne suis pas non plus un exilé. Retiens-le une fois pour toutes. L’exil n’est pas une aire de repos.

Je me suis évadé des murs d’un enfer à ciel ouvert. J’ai résisté aux monstres du Sahara, échappé au gouffre de l’Atlantique. J’ai marché, marché, marché…

(…)

Qui es-tu ?

D’un ton ferme, je lui ai répondu :

Personne.

« Au départ », alors que « ce n’était qu’un mécontentement », « une contestation », « une réclamation, un droit », s’en est suivie à chaque protestation, la répression, celle « d’une minorité prédatrice et boulimique » d’hommes contre « des hommes et des femmes orphelins de leur pays ». Avec une batterie de questionnements tenus et brandis par le poing fort des mots, levé sur le cheminement existentiel et scriptural : que faire et comment, face à la cruauté des envahisseurs et des pilleurs, face à la dévastation, à « l’Écrasement » d’un territoire d’humanité au cours duquel des hommes sont jetés par d’autres dans un « festival de sang, de cris, de larmes » dirigé par des prédateurs insatiables, cupides, voraces et sanguinaires, animé par des vautours et des opportunistes sans scrupules ? Sera-t-il possible de pardonner, se demande l’écrivain Theombogü : « Pourras-tu pardonner, oublier, te taire ?… ». Comment le poète peut-il dire l’indicible horreur de la barbarie pour parler à ceux restés sur le front pour se battre : « Le poète en temps de guerre n’a pas de langue. Sa poésie n’a pas de voix. Son écriture n’a pas de forme ».

Il s’interroge. Il s’inquiète. Il regarde le ciel. Que faire ? Aller à la guerre ? Il hoche la tête de droite à gauche, de gauche à droite.

« Les poètes ne vont pas à la guerre », pense-t-il.

Certains y sont allés, les Apollinaire, Péguy, René Char, etc., certains qui croyaient à la mission sociale du poète, d’autres morts au combat ou qui « n’en reviennent pas », qui se sont engagés mais… chaque époque porte son contexte socio-politique, sa dimension sociale, ses états d’esprit… chaque époque a ses guerres et chaque guerre appartient à une époque… comme chaque guerre est singulière… comme chaque esprit a sa propre lecture et sa volonté particulière d’une posture face aux fracas du monde… Sans pusillanimité le poète Theombogü pose ici sur la table le kaléidoscope d’une vérité à tenir en pleine conscience avec soi-même face aux conflits du monde auxquels nous pouvons choisir de nous engager pour combattre les valeurs qui nous portent ou choisir de rester dans le retrait pour observer, demeurer en accord avec nos convictions pacifistes, pour pouvoir porter témoignage, afin que cela ne se reproduise plus. Face à tant de paramètres il ne s’agit pas de juger mais de faire l’état des lieux et de Dire afin de laisser trace d’une actualité complexe dont le poète exprime les secousses, les violences, les crimes, les génocides, les manquements à l’Humanité. Tant de postures s’avèrent possibles, tant d’actes à l’aune de ces positionnements s’accomplissent, héroïques ou ordinaires, que le poète nous invite à écouter dans son chant, « cette chanson étrange et commune » nous rappelant que « le monde est un recueil de chants funèbres ». Theombogü nous rappelle que le retrait et la volonté de ne pas prendre les armes n’est pas forcément se choisir une posture facile :

« On gagne une guerre avec le bruit des canons et non avec le courroux des mots ».

(…)

Ils veulent l’amener au lieu des supplices. L’un d’eux tire un couteau de sa poche et s’empresse de l’égorger. Tous se mettent à ricaner autour de lui.

Il regarde le ciel. Il crie… crie… crie… Personne ne l’entend crier. Ses voisines et ses voisins sont allés à la guerre.

La puissance de ce recueil de Theombogü est de vouloir tenter de sauver/sortir du « grand livre de l’oubli » de l’Histoire/de l’Humanité et du « profond sommeil » qui est volontiers le nôtre quand il s’agit de ne pas vouloir voir, une tragique réalité extraite des décombres par la force résistante de l’écriture. Et de le faire sans complaisance.

Theombogü nous parle ici d’une guerre particulière, celle qui a dévasté son pays, le Cameroun lui-même marqué par une Histoire particulière : ce pays « que mon grand-père appelait affectueusement Kamerun ».

C’était un Kamerun avec un territoire bien défini. Et puis un jour la Société Des Nations l’a offert gracieusement à la France et à la Grande-Bretagne. Et rien n’était plus comme avant. Tout avait changé.

Ce n’était plus un Kamerun. Ils ont commencé à parler d’un Cameroun français et d’un Cameroun britannique. (…)

Ils ont commencé à parler d’anglophones et de francophones comme si c’étaient des groupes ethniques kamerunais.

Pendant plusieurs décennies, les voix contestataires ont été pourchassées, emprisonnées, exilées, torturées, assassinées.

C’était une guerre qu’ils ont soigneusement enfouie dans le grand livre de l’oubli.

Theombogü n’a de cesse de s’en remettre à la parole pour s’interroger sur la possibilité du pardon : « Pourras-tu pardonner à ces armuriers et ces obèses du capital qui alimentent en armes les mouvements terroristes, les troupes rebelles, pérennisent les coups d’Etat, les crises, les guerres civiles ? ». Si la mission de l’écriture peut être celle de nous ouvrir les yeux sur la réalité, le poète ici a réussi à faire en sorte que nos yeux ne restent pas fermés. Le lecteur en effet prend connaissance d’un réel dont il n’avait peut-être pas entrevu tous les recoins sombres de l’Histoire, dont les enjeux de l’Histoire en cours ne lui avaient pas été révélés dans toute la complexité de leur maléfice. « C’est à l’écoute de tout ce qui fait histoire, sujet, que Theombogü apprend d’où il vient et où il va », note le synopsis en quatrième de couverture. N’est-ce pas en effet le rôle et la fonction de l’écriture d’élucider et d’éclairer pour nous des pans du réel ? N’est-ce pas ici donner « Voix au poème » ainsi que s’intitule la Collection dirigée par Arnaud Le Vac dans laquelle est éditée cette publication, en cohérence par ailleurs avec les essais de la maison d’édition dirigée par Patrice Kanozsai qui fait place aussi à des sujets de réflexion sur l’actualité politique du monde et ses enjeux sociétaux et économiques ? Dans Un refuge autre que l’exil, Theombogü nous ouvre un espace où apprendre à se connaître et chercher à s’identifier se trouve dans la quête d’un refuge édifié par les mots, davantage que dans une zone de non droit ou une aire de non repos nommée « exil ». Il s’agit ici d’expulser par l’écrit la souffrance subie par les migrants, les réfugiés, les apatrides et les exilés dont les mots de Theombogü font entendre la voix dans la sienne en tant que passeur de voix, de poèmes. Une voix qui accueille celle des exilés ; une voix qui par son écriture nous fait entendre ce que l’on entend et ne voit pas ; une voix qui marche, sans mépriser celles qui dorment.

 

Murielle Compère-Demarcy

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Murielle_Compère-Demarcy

 

Theombogü est écrivain. Il est l’auteur notamment de Demain ne viendra jamais (La Crypte, 2014) et Un végan chez les Pygmées (Pétra, 2022). Lauréat de la bourse PAUSE sous l’égide du Collège de France en 2019, il est membre du comité de la revue Po&sie, fondée par Michel Deguy.

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A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


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Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.