Un printemps neuf, Vincent Roy (par Philippe Chauché)
Un printemps neuf, Vincent Roy, mars 2022, 119 pages, 14,50 €
Edition: Le Cherche-Midi
« Saisir le moment favorable, donc, tient à un cheveu. À un fil. Il s’agit d’être léger. Buona fortuna. À Venise, la déesse a sa statue à la pointe de la Douane. J’y passe le soir tard. Je la salue. Merci, jusqu’ici je m’en suis sorti ».
Il y a près de quarante ans, un grand styliste bordelais publiait un roman qui s’avérait à sa lecture, et à sa relecture, au rendez-vous de l’Histoire d’un siècle de plus en plus débordé par des postures du nouveau pouvoir féminin. Son nom : Philippe Sollers, son titre : Femmes. Nous avons changé de siècle, mais point de postures, et le nouveau pouvoir féminin s’affuble d’une nouvelle appellation d’origine contrôlée, le néo-féminisme. Ce siècle est toujours débordé par la tristesse, les insomnies de la Langue, le ressentiment, la vengeance, la sinistrose romanesque, et c’est là, sur ce terrain miné que surgit un roman, un court roman brillant et enluminé, léger et précieux, le roman d’un écrivain français qui ne craint ni les mots, ni les corps, le sien et celui de Lila, ni les dieux.
Son nom : Vincent Roy, son titre : Un printemps neuf. Ils ont tous les deux des passions communes, notamment Venise, Casanova, Joyce, Picasso, et ils savent écrire et lire, lire et écrire ; ils vivent dans la joie, et dans une certaine clandestinité. Un livre, L’Évangile de Nietzsche, témoigne de cette complicité littéraire, Vincent Roy y cite une phrase empruntée à un texte de Philippe Sollers baptisé L’Autre Venise : « Être là est un art et Venise exige un pari sur soi. Sinon, exclusion, décor ». Un printemps neuf est un roman clandestin vénitien, qui lui aussi fait un pari sur soi, il pourrait se nommer Une Joie à Venise, et par essence, cette Joie, ne peut qu’être éternelle quand elle passe dans le bain de révélateur du roman. Le narrateur s’envole donc pour Venise : partir, franchir les lignes, inventer la suite au grand air d’un jardin débordant sur l’eau. C’est sur cette île splendide qu’il retrouve Lila, qui volait elle aussi vers Venise, et l’accord est imminent entre les deux musiciens de la vie. Ils jouent juste car ils ont l’oreille et l’œil absolus, ils entendent ce que d’autres humains font semblant de ne pas voir, et de ne pas vouloir entendre. Ils vivent l’instant et cet instant est riche de mille divines surprises sonores et visuelles.
« Le caractère chinois “shi” exprime ensemble le temps, le moment et l’occasion. Je traduis : le temps est une chance. Mais qui le vit comme une chance ? Quelques joueurs savants et délicats, des magiciens de la vie, rares donc précieux, des aventuriers radicaux, certains dieux musiciens puis les amants, heureux amants, ceux qui se tiennent lieu de tout et compte pour rien le reste ».
Le roman est cet espace où le monde se révèle, où les turpitudes qui l’agitent sont bousculées, ridiculisées, où la grâce règle son compte avec le Diable, qui depuis que l’homme écrit attache une grande importance aux livres qui ont mauvaise haleine, qui sont sans style, sans savoir, et sans saveur. La meilleure façon de s’en protéger et de le renvoyer à ses funestes objectifs, et au néant qu’il instille, c’est de miser sur le bonheur d’être et d’écrire, et sur la joie narrative qui dévoile les bonnes raisons de l’être, et sur les corps libérés des pesanteurs sociales. Le narrateur d’Un printemps neuf est un joueur stylé, qui mise sur les heureuses vibrations de Lila, et sur celles des livres qui l’accompagnent, car il voyage armé de bonnes fortunes. Vincent Roy en lecteur stylé, ne pouvait qu’en être un auteur, il sait à merveille s’accorder au temps présent du roman, sa recherche est celle d’un orpailleur, qui laisse apparaître dans les trames des feuilles de papier de son roman des éclats d’or pur.
Philippe Chauché
Vincent Roy est écrivain et critique littéraire, on lui doit : Le Temps ouvert (Ed. Léo Scheer), L’Évangile de Nietzsche, entretiens avec Philippe Sollers (Le Cherche Midi, Gallimard/Folio), Les Corps virtuels (La Table Ronde), et L’Instant désiré, nouvelles (Le Cherche Midi).
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