Un peigne pour Rembrandt et autres fables pour l’œil, Daniel Kay (Par Didier Ayres)
Un peigne pour Rembrandt et autres fables pour l’œil, Daniel Kay Gallimard, mai 2022, 112 pages, 12,50 €
Image peinte/image écrite
Le dernier recueil de poésie de Daniel Kay permet de disserter sur la relation de l’écrit et du peint. Peut-être est-ce stricto sensu une illustration du ut pictura poesis tiré de l’art poétique d’Horace, ici appliqué à la lettre si je puis dire. Et puis, à la fin de la lecture de ce recueil, j’ai trouvé à quoi correspondait le mieux cette tentative de faire de la poésie conçue comme image. J’ai pensé aux premières statues du Trocadéro à Paris, emballées par Christo. Là était le secret pour moi d’une langue qui enveloppe la chose, qui rend l’œil actif. Le poème est une espèce de pellicule qui se saisit de son objet par les voies de la clarté du rendu, du modelé. Et cela sans hésiter à aller chercher dans la philosophie ou la linguistique. Donc des tableaux écrits.
Écrire sur la peinture suppose un talent pour dépeindre. Écrire ne revient pas qu’à décrire, il faut aussi pousser le pion du sens, de la signification – car la peinture ne se suffit pas à elle-même et doit en passer par la pensée, donc par les mots. Le tableau propose une dialectique entre l’image muette et morte, confrontée avec l’agilité de la pensée qui meuble la chose peinte. Le poème, lui, demande une lecture à voix basse bien souvent, donc une sorte de broutage, de léger piétinement dans l’exercice de la musique du vocabulaire. Cette doublure, c’est le texte de Daniel Kay.
« Il faut les voir, les maîtres flamands pressés en train de faire la queue au pied des oliviers, accompagnés de leurs assistants affairés, les yeux plantés dans leurs répertoires d’allégories et leurs recettes de couleurs alors qu’un grand soir ensanglanté en profite pour ficher une à une ces banderilles dans la chair immatérielle des anges ».
Ou plus loin
« Ce que la forme demande aux couleurs, le temps ne saurait l’ignorer, ces couleurs qui durent sans verbe ni sujet et qu’on dirait simplement déposées entre le ciel, l’herbe et le sang. Alors patiemment rangés avant l’inventaire, le rouge, le vert et le bleu s’inventent des langues insensées, de ces mots lents criblés de terre, de minutes et de feuilles ».
En guise de conclusion, je dirais que ce livre petit en volume, mais dense en intensité, accompagne les pas d’un voyageur, d’un passager de l’art comme l’a été Eugène Fromentin. Ou parfois, au détour d’un vers un peu long, peut-on retrouver Claudel et la fameuse scansion de sa langue. Donc, c’est une poésie sans excès, sans débordement inutile, une sorte d’écriture sans poses, une écriture chorégraphiée, jouant sur la musique de la peinture et devenant à part entière cette voix prudente mais sans ambages, peut-être le meilleur moyen de faire voyager l’imagination et instruire le propre imaginaire du poète. Traverser pour engendrer.
Didier Ayres
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