Un Passage au Maroc, Alain Gorius (par Philippe Leuckx)
Un Passage au Maroc, Alain Gorius, Al Manar, 2019, photographies, Abderrazzak Benchaâbane, 48 pages, 16 €
Edition: Al Manar
Ces « notes » d’un ami fervent du Maroc et de ses gens ont pour but de garder des traces d’un « passage », dans ce pays aimé, celui de l’Extrême-Couchant comme Gorius le nomme. Pour dire ces « moments de vie » passés au contact chaleureux des Marocains, humbles ou plus connus, gens de la rue ou artistes, peintres, écrivains, poètes, l’auteur a fait appel, au-delà de ses textes, aux belles photographies de Benchaâbane, en noir et blanc, portraits, scènes de rues ou paysages, femmes au bord de l’océan, visages burinés, regards vifs et intenses. Les voyages ne laissent pas indemnes et c’est leur grandeur que de grappiller la beauté pour qu’elle ne s’étiole pas.
En vingt-quatre courts fragments, d’une prose très poétique, Alain Gorius énonce ses préférences, ses choix, ses pérégrinations. Ses blasons nous valent des textes tendus et tendres, jamais complaisants, avec la distance de l’écriture et du cœur. Et ses textes vibrent, comme le rappel des choses à conserver coûte que coûte. C’est le portrait de femmes, leur beauté insolente ou cachée ; c’est celui d’artistes comme Kacimi, peintre et poète, comme Mohamed Abouelouakar, ou encore à l’image du poète longtemps enfermé à Kenitra, Abdellatif Laâbi.
Honorer les artistes et leur force de résistance face à un régime qui fut, comme sous Hassan II, tortionnaire, c’est prendre le parti de la beauté, des gens, de l’innocence et de l’art. Gorius écrit là de belles pages sur la liberté à sauvegarder.
De temps à autre des corps presque nus croisaient ta route, portés sur l’eau par le vent ; tu sentais monter en toi le désir immense de les emporter tous… (11).
Tazmamart… une sorte de caserne bâtie dans le désert ; dans l’absence de tout. Une prison-mouroir, secrète, poussée comme une verrue a creux d’une vallée du Haut-Atlas (17).
La mention de Tazmamart montre à quel point l’auteur de ce petit livre fervent, est aussi un photographe aiguisé d’une réalité qui ne fut pas toujours connue, ici, en France, en Belgique. L’étouffoir des régimes parfois réussit à cacher ses horreurs. De ce livre, récit, notes, témoignages, pensées ferventes, constats amers, le lecteur prélèvera surtout la belle écriture resserrée et attentive au plus menu, au plus concret. Le voyage au Maroc lui aura appris à mieux se connaître, à mieux appréhender toute réalité.
Les quatorze belles photos qui accompagnent le livre reflètent aussi une connaissance intime du pays et de ses gens.
Un beau livre d’artiste.
Philippe Leuckx
Alain Gorius est écrivain et éditeur. Il dirige les belles éditions Al Manar.
Abderrazzak Benchaâbane est un photographe marocain.
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