Un Oiseau blanc dans le blizzard, Laura Kasischke (par Didier Smal)
Un Oiseau blanc dans le blizzard, Laura Kasischke, avril 2022, trad. anglais (USA) Anne Wicke, 362 pages, 8,70 €
Autant préciser de suite : ce roman ne mérite en rien les critiques élogieuses qui ont incité à l’ouvrir et à en lire péniblement les cent premières pages, puis à vagabonder au fil des suivantes dans l’espoir vain d’y trouver un peu de lumière. Pire encore : le fait que ce roman ait reçu pareil accueil critique est inquiétant, car cela en dit long sur l’époque, sur sa délectation pour le laid, son goût immodéré pour la fange (quand bien même ornée de quelques tournures lexicales poétisantes), sa tendance à confondre l’asservissement au sordide cantonné au niveau du fait divers avec l’élégance de certains auteurs d’antan qui surent sublimer le fait divers, et un jour il est à espérer que cette époque sera jugée comme telle, un jour où l’élégance, tant du style que du propos, sera enfin attendue et reconnue.
Reprenons. Un Oiseau blanc dans le blizzard est la narration par Kat, seize ans, de la vie dans une banlieue huppée quelconque sise dans l’Ohio, narration provoquée par la disparition soudaine de sa mère – dont, on l’écrit afin d’éviter tout suspense inutile, le corps sera retrouvé en fin de roman, dans le réfrigérateur familial.
Puisque Kasischke choisit une narratrice jeune, sans nul recul, il n’est à espérer aucun commentaire pertinent, mise à part l’ironie désabusée d’une gamine qui dès les premières pages raconte la façon dont elle a perdu son pucelage (consentante, c’est toujours ça de gagné sur le sordide) sans nul amour, juste par attrait du plaisir sexuel – on caricature, mais à peine. Rien de sublime, rien d’élevant, et surtout aucun désir d’autre chose – on croirait un mauvais disque grunge, qu’on pardonne le pléonasme, ou un certain cinéma intellectuel qui aime à montrer le réel, coco, qui ne peut que puer et inciter à se flinguer, parce que c’est ça la vie et rien d’autre.
Et dans cette époque, il y a aussi la psychologie, bien sûr, avec une scène ahurissante où Kat explique à une psychologue que sa mère était certainement frustrée sexuellement parce qu’elle a trouvé dans son placard un manuel indiquant comment atteindre l’orgasme, et la psychologue de trouver cela tout à fait naturel, de ne pas se formaliser de la pollution mentale qu’a pu représenter ce manuel pour Kat ou d’établir un commentaire sur la misère affective contemporaine et le désir d’y échapper. Il ne s’agit pas de pudibonderie (quand on a lu Thérèse philosophe ou Fanny Hill, et qu’on en a saisi tout l’humour, on a vite appris à ne pas se choquer de si peu), mais d’une critique à l’encontre d’un roman dont on pourrait de la sorte célébrer le naturalisme (ça, ça fait vrai, coco, ça, c’est l’époque) mais qui au fond ne fait que se complaire dans ce que l’époque à de plus désolant : toute cette acceptation d’une vie morne, aux tristes excitations, sous prétexte qu’on n’y peut rien et qu’il n’y a rien d’autre. C’eût été le rôle de Kasischke, en tant que romancière, de prendre ses distances avec ce qu’elle prétend montrer et, probablement, dénoncer.
Mais comme si le fond n’était pas suffisant à rebuter de ce roman, la forme, typique de l’époque elle aussi, renforce l’agacement : parmi des paragraphes d’une douzaine de lignes (ne perdons pas le lecteur et tenons-lui la main), ces fréquents petits paragraphes de deux phrases brèves, comme si Kasischke était passée par une école de journalisme de troisième zone, où la platitude informative est de mise ; ces dialogues d’un convenu absolu ; ces phrases averbales censées souligner avec intensité que ce qui devrait être une proposition subordonnée contient en fait l’essentiel à comprendre – n’en jetez plus, la coupe est pleine.
On en arrive à la question fondamentale : que pareil roman soit écrit, c’est une chose ; qu’il soit publié, c’en est déjà une autre, mais bon, l’édition est une industrie comme une autre, et si un produit présente des caractéristiques favorisant le bénéfice immédiat, il serait stupide de le renier ; mais que pareil roman rencontre l’assentiment d’une critique béate, aveugle à sa médiocrité, voilà qui ne laisse pas d’être inquiétant. Car une chose semble certaine : sauf à considérer sa valeur testimoniale sur l’époque, nul ne lira plus Un Oiseau blanc dans le blizzard dans vingt ans. Et encore. Quant à savoir qui le relirait aujourd’hui, on doute.
Didier Smal
Laura Kasischke, née en 1961 dans le Michigan, est une autrice américaine, tant poète que romancière et nouvelliste. Son œuvre a été primée et adaptée au cinéma à plusieurs reprises.
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