Un océan, deux mers, trois continents, Wilfried N’Sondé
Un océan, deux mers, trois continents, janvier 2018, 269 pages, 8,70 €
Ecrivain(s): Wilfried N’Sondé Edition: Actes Sud
Comment faire face au mal absolu ? Sans le nommer ainsi de prime abord, Wilfried aux mesquins venus de l’océan nous donne des esquisses de réponse dans Un océan, deux mers, trois continents. Le personnage central, Nsaku Ne Vunda, est né vers 1853 sur les rives du fleuve Kongo. L’une des particularités de son destin est qu’il a été éduqué à deux sources, dont la cohabitation est à cette époque, très peu fréquente : le culte et le respect de ses ancêtres africains d’une part, une solide éducation chrétienne dispensée par les missionnaires, de l’autre. Il est ordonné prêtre et son nom chrétien est Dom Antonio Manuel… Il est chargé par le roi des Bakongos, peuple du Kongo, de devenir son ambassadeur auprès du pape Clément V.
Pourtant, Nsaku Ne Vunda va, dans un premier temps, toucher du doigt un épisode de l’histoire humaine décisif pour l’Afrique, bien sûr, mais aussi pour l’économie du monde d’alors, et pour l’Occident : la réduction à l’esclavage de millions d’Africains, et leurs déportations vers les Amériques. Ce roman évite, et c’est l’un de ses multiples mérites atouts, les pièges : celui d’étonner les Africains de toute responsabilité, on n’ose dire complicité, dans l’organisation de la chaîne de la traite négrière :
« Notre peuple faiblit, là où il s’était convaincu de se renforcer, il apportait de moins en moins de résistance aux mesquins venus de l’océan, dont le dédain et le cynisme à notre égard augmentait ».
Mais ce roman est aussi un voyage à l’intérieur de l’esclavage et de l’Afrique en train de succomber. Ainsi notre prêtre aperçoit-il en pleine brousse une colonne d’esclaves, dont la longueur et la détresse vont lui faire entrevoir avec horreur l’amplitude du phénomène, sa barbarie : « Les contours de femmes, d’hommes et d’enfants nus, attachés les uns aux autres par le cou avec des fourches de bambou, progressant sous la trombe torride, se précisèrent (…) Certains d’entre eux trébuchaient, les autres devaient alors les traîner pour éviter la chute ». Comment croire encore en Dieu lorsque le Mal triomphe ? Dom Antonio Manuel, après avoir fait un voyage vers le Brésil sur un navire, Le Vent Paraclet, qui est en réalité un bateau transportant des esclaves vers le Nouveau Monde, prend toute la mesure de l’horreur : les cris des esclaves dans les fonds de cales, ceux qu’on jette par-dessus bord, le mépris des marins, l’attitude du capitaine Louis de Mayenne, exclusivement préoccupé par des considérations mercantiles et d’une totale insensibilité à la douleur de ces gens.
Où sont alors le salut, la sauvegarde de la fidélité à ses convictions d’Africain, de Chrétien, d’être humain ? C’est l’espérance en la fraternité, la dignité. C’est ce qu’entrevoit Dom Antonio Manuel pendant sa réception par le pape à Rome : il décède, victime de l’épuisement, d’un trop plein d’émotion ? On ne sait. Roman d’aventure ? Roman d’apprentissage ? Roman historique ? Ce récit n’est pas édifiant, il n’est pas manichéen, il a des résonances parfaitement contemporaines, ce qui en fait un grand roman.
Stéphane Bret
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