Un merveilleux souvenir, Marc Pautrel (par Gilles Cervera)
Un merveilleux souvenir, Marc Pautrel, Gallimard, L’Infini, février 2023, 88 pages, 12 €
Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Gallimard
Un écrivain discret aux livres de petits formats et de grand poids : Marc Pautrel. On verra comment il apparaît et comment cet auteur singulier est publié jusqu’ici par Philippe Sollers, mort vendredi 5 mai 2023. La mort d’un pape après celle de Godard !
Pautrel ou la deuxième peau
Sacrifions à la légendaire intro ! L’écrivain Marc Pautrel, nous ne l’eussions pas découvert sans le buzz, la bouse et la bise Christine Angot. On aime l’écrivaine Angot qui nous enseigne à rentrer entre épiderme et terreur, quand le père devient fou et la petite fille objet objectif et sujet subjectif de toutes les séductions jusqu’à la plus prédatrice. On déteste la même Angot lorsqu’elle s’impose aux écrans que pour le buzz, la bouse et les bises.
Donc, nous ne regardions pas l’émission de Ruquier du samedi soir où elle était chargée de la critique littéraire et de défoncer l’auteur soumis à la critique. Fort du fameux même si on dit du mal, au moins on dit quelque chose de mon livre charrié dans les dix mille tonnes de piles avant pilon. Bref. Ce soir-là, nous ne regardions pas plus cette émission que nous n’avons jamais vue mais nous avons lu les articles à suivre au sujet de Marc Pautrel.
Du livre duquel Angot Christine s’était entichée. Avant l’émission, elle avait tendu Vie Princière de Marc Pautrel à Ruquier en lui disant, je ne l’assassine pas. Ce livre-ci, on l’encense, OK ?
Conséquences.
Un auteur prestigieux inconnu édité depuis des années dans une collection prestigieuse L’Infini chez Gallimard, tiré à 1000 et acheté à 720, soudain vendu, et ça le méritait, à 10.000, à 20.000, à 30.000 !
Le buzz et la télé !
Le baiser de la bouse !!
Lire Marc Pautrel sans savoir ce mythe d’origine de son succès est bien entendu possible mais impossible d’ignorer que ce cinquantenaire et quelques a fait don de sa vie à l’écrit. Qu’il a vécu du RSA longtemps et sans doute maintenant, non. Donc, impérieusement lire son dernier livre et tous ceux qui précèdent. Aujourd’hui donc : Un merveilleux souvenir.
Toujours publié à L’Infini chez Gallimard dont il faut peut-être préciser ces jours-ci que le directeur n’est autre que Feu Philippe Sollers ! Pas Feu Philippe Sollers, non ! Flambant Sollers, Flamboyant Sollers, Inflammable Sollers, Infâme et infemmable Sollers ! Pautrel dans son dernier livre, justement, parle de lui, de son éditeur aimé, apprécié et de certains dialogues avec lui concernant le manuscrit porté à l’éditeur.
N’éditez pas, on court au procès.
Très beau mais n’éditons pas. Procès assuré.
Pautrel a écrit. Malgré tout, car l’écriture est plus forte que tout. Il a contourné la question, évité le barycentre incendiaire. Total, le livre est un méta-livre, avec un beau titre pour antiphrase. Il est habitué de ces titres entre poésie, conte et désenchantement : La vie princière, L’éternel printemps, Polaire ! Ce très court roman, 73 pages, est doux, beau, triste. Un merveilleux souvenir issu de ces tristesses infinies quand les familles explosent, les frères et sœurs ne se parlent plus sur fond d’une maison grand-parentale, vendue, buldozérizée, perdue. Les grands-parents si aimés, la sœur si aimée, les nièces tant aimées, à jamais – et le livre n’y sera pour rien, séparées.
Philippe Joyaux a choisi Sollers pour pseudo. Sollers veut dire tout en latin. Tout entièrement.
Pautrel est un homme tout entièrement seul dont nous n’avons encore rien dit du style. Car Marc Pautrel est un style. Il écrit juste au-dessus de nous, à cet étrange niveau des chairs de poule, quand la peau se hérisse de tendresse et d’amour. Le style Pautrel enveloppe comme une deuxième peau, il écrit dans le halo. Pautrel écrit là. Comme on rêve le réel. L’impossible réel qu’à chacun de ses petits romans, il renoue à nous. Il nous l’instille avec la seringue imperceptible de son style. Lisez Pautrel, en oubliant Christine Angot !
Et Sollers dont la distance à l’œuvre pautrélienne est considérable. Sollers le narcissique contre Pautrel l’undicible. Sollers a édité Barthes, Debord, Lamarche-Vadel ou Derrida et Genette. Irréprochable Sollers car il n’édite, on le voit, que des importants.
Magnifique Pautrel édité à L’Infini quand Sollers l’a rejoint !
Gilles Cervera
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