Un matin pour la vie et autres musiques de scène, Françoise Sagan
Un matin pour la vie et autres musiques de scène, 2012, 240 p. 6,10 €
Ecrivain(s): Françoise Sagan Edition: Le Livre de PocheSagan donne de ses nouvelles
Françoise Sagan écrivait des textes courts. On le lui reprocha. Ses romans, souvent brefs, étaient soi-disant bâclés. Elle aurait pu approfondir la psychologie des personnages, creuser certaines situations, décrire plus longuement, disaient les critiques… Elle prouva avec La Femme fardée (1981) qu’elle était capable d’écrire ce long roman qu’ils attendaient.
Aujourd’hui, on apprécie à juste titre son art de la concision, de l’ellipse, cette fausse légèreté, cette façon d’effleurer, parfois, un sentiment, une impression, cet art de la touche qui prend la forme d’un adjectif bien senti. C’est là un de ses talents reconnus. Dire en peu de mots. Laisser parler les silences. Permettre au lecteur d’investir ses textes.
La preuve en est avec ce recueil, Un matin pour la vie et autres musiques de scènes qui reprend les treize nouvelles initialement publiées en 1981 auxquelles s’ajoutent quatre inédites en volume, parues dans des magazines (Elle, VSD, Playboy et La Revue de Paris) entre 1955 et 1985. L’art de la nouvelle, c’est celui de la concision, du choix restreint de personnages qui doivent rapidement acquérir une épaisseur suffisante, c’est l’esquisse d’un cadre, c’est la maîtrise de la chute… Autant d’éléments présents dans les romans de Sagan. Et déjà présents dans les romans, ils ne peuvent qu’être décuplés dans ses nouvelles.
On y retrouve concentré tout l’univers de l’écrivain. Dans Un matin pour la vie, texte écrit à la première personne, fait rare chez Sagan, Delphine attend la mort : une guerre nucléaire est déclenchée et un missile devrait dévaster Paris. A quoi pense-t-on dans les derniers instants ? Que faire de la dernière heure à vivre ? Se laver les cheveux ? Ecouter Wagner ? Rire un peu, aussi, comme souvent, chez Sagan.
Sagan fait sortir de leur carcan les personnages rapidement campés et donc stéréotypés propres à la nouvelle. Le bon père de famille quelque peu usé par la vie conjugale d’Histoire d’août est prêt à tout pour qu’on lui recouse ses boutons de chemise et ira jusqu’à vivre une aventure d’un soir avec sa voisine Olga. Le macho fade, ennuyant et taciturne de Un vrai macho s’avère finalement être un vrai héros… Les apparences n’existent que pour être démenties.
D’autres personnages préfèrent leur vie à toute autre. La femme trompée de Le chat et le casino, devenue millionnaire après avoir joué à la roulette, choisit de rentrer chez elle et de retrouver son univers, comme si de rien n’était. Une vie paisible, même imparfaite, vaut-elle mieux que quelques millions…
L’écriture de nouvelles semble avoir été un laboratoire pour Françoise Sagan puisque certaines d’entre-elles sont devenues des pièces de théâtre ou des romans par la suite. Ainsi, Les suites d’un duel – dont Sagan tira une pièce de théâtre, L’excès contraire, qui ne fut jamais jouée ni publiée de son vivant – nous transporte à la fin du 19e siècle, en Autriche. Sagan y raconte la passion improbable et inopinée, sur le mode de la comédie de boulevard, d’un jeune soldat et d’une baronne, vieille fille, qui s’initie sur le tard aux choses de l’amour… Une partie de campagne constitue la trame de ce qui deviendra, en 1991, Les faux-fuyants. En 1940, des parisiens fuient la capitale sur des routes de campagne. Lors d’une attaque de Stukas, leur Rolls est détruite et Hélène Dureau est sauvée par un paysan. La cohabitation qui s’impose alors dans une ferme est rapidement la source d’un choc culturel.
Voici donné le ton de ces « musiques de scènes ». On les lira toutes avec le même plaisir. Bien menées, enjouées, drolatiques ou graves, ironiques, ces nouvelles renferment tout l’art et la maîtrise de Sagan : marier, comme peu savent le faire, le charme et l’intelligence.
Arnaud Genon
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