Un kilo de culture générale, Florence Braunstein, Jean-François Pépin
Un kilo de culture générale, février 2014, 1700 pages, 29 €
Ecrivain(s): Florence Braunstein, Jean-François Pépin Edition: PUF
Un projet pédagogique imposant :
Florence Braunstein et Jean-François Pépin sont les co-auteurs de 1 kilo de culture générale. Ils sont tous deux universitaires. Le titre est certes surprenant pour ce livre-pavé, mais le contenu ne l’est pas moins. C’est un véritable monument de 1700 pages. Le livre est découpé en 24 chapitres qui suivent un fil conducteur en couvrant les fondamentaux de la culture depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours. Dans ce livre, nous faisons connaissance avec les civilisations des quatre continents. Projet démesuré pourrait-on penser avant de s’y plonger. En fait, c’est juste un projet ambitieux qui a demandé aux auteurs des années de recherche approfondie.
En fait, le contenu est tout à fait abordable, la langue est limpide. C’est un véritable plaidoyer pour un accès pour tous à la connaissance. Les deux auteurs écrivent en pédagogues dont le désir essentiel est de transmettre le fruit de leurs propres interrogations. Leur visée est de mettre l’humanisme à la portée du plus grand nombre pour, peut-être, accéder à un monde plus pacifié. Il s’agit pour eux de captiver le lecteur et de lui donner le désir d’approfondir ses connaissances dans les domaines les plus variés. Cela va d’un certain nombre de personnalités qui ont marqué leur temps, à des pays que nous connaissons mal pour traverser aussi des époques oubliées.
Une approche de définition polysémique du concept de « culture générale » :
Dès l’introduction, les auteurs nous avertissent : « L’homme, son histoire, sa culture ne peuvent pas se réduire aux seules réalités mathématiques, statistiques ou à l’énoncé de quelques décrets ».
Alors, comment définir le mot « culture » ? Aujourd’hui, on lui attribue tout et n’importe quoi, elle est devenue un vaste fourre-tout où tout est ravalé au même niveau, sur un pied d’égalité. Elle perd alors toute spécificité. Les auteurs nous font comprendre que le sens du mot est en permanente évolution au cours des siècles et change de signification selon les ères géographiques.
Ils nous précisent : « À la différence de l’érudition qui se résume à une accumulation de savoirs, la culture nécessite l’effort de comprendre, de juger, de saisir les liens entre les choses. Si l’esprit ne fait pas ce cheminement, il végète, il a besoin constamment d’être actif et réactivé ». S’ouvrir à la culture générale demande du travail, de la concentration, une décentration de soi, une échappée de son pré carré et un plaisir de s’ouvrir aux autres et au monde.
Comment aborder le contenu de l’ouvrage ?
Dans leur livre, Florence Braunstein et Jean-François Pépin ne recherchent pas une froide neutralité. Ils assument sans hésitation leur subjectivité. Les deux auteurs ne prônent pas une volonté de dire le vrai mais tentent de nous faire éprouver la complexité de la connaissance pour ouvrir notre curiosité et nous pousser au questionnement. Pour cela, ils mettent en relation différentes disciplines qui s’éclairent les unes les autres dans leur spécificité et leur diversité. Le délice d’un ouvrage pareil est infini, pour peu que l’on opte pour un butinage au gré de notre fantaisie.
Par souci de clarté, les auteurs ont choisi l’ordre chronologique. L’ouvrage est découpé en six parties qui scandent le temps en six grandes périodes historiques. Chaque partie est à son tour découpée en chapitres qui abordent soit des ères géographiques précises, soit des concepts émergeants à des moments charnières de l’évolution de la pensée, soit des moments de rupture, soit des notions nouvelles, soit des points-clefs, soit des passerelles. Littérature, histoire, philosophie, sciences et arts : ces domaines se croisent ici en bonne intelligence. Trois index complètent la table des matières : celui des noms, celui des œuvres et celui des lieux qui sont présents dans l’ouvrage. Il sont très utiles pour nous permettre de grappiller à l’intérieur du livre selon une nécessité du moment, un désir soudain de creuser davantage une question précise qui nous taraude, la curiosité de rencontrer un personnage.
Pour remettre en contexte et en perspective les classiques, rien ne vaut une bonne culture générale. Et tout à coup, le lecteur de cette somme qui pèse son poids se sentira léger et ravi grâce la culture, définie par Horace (Ier siècle av. JC) : « Ce sentiment d’être porté au-dessus de soi-même, d’accéder à des trésors et de les incorporer, par une alchimie personnelle, à notre mémoire vivante ».
Que nous apporte cet ouvrage et en quoi est-il nécessaire ?
Dans un monde où l’argent-roi, la compétitivité brutale et la rentabilité immédiate deviennent les visées premières de nos sociétés, où les totalitarismes tentent de briser la pensée par des doctrines fermées, où les inégalités face aux savoirs demeurent, la culture générale devient inutile et même dangereuse puisqu’elle permet de développer son esprit critique et de laisser place au doute face à la complexité du monde qui nous entoure. Dans une période de divertissements faciles, d’inculture pour tous et d’incitation permanente à la consommation à outrance d’objets, comment peut-on devenir un citoyen actif, participer à la vie de la cité si l’on ne prend pas conscience de l’importance de la morale et de la politique ? Pour cela, ne faut-il pas vaincre ses peurs et ses résistances, dépasser l’affectif, et les opinions figées, pour oser s’ouvrir aux savoirs, aux connaissances qui ne devraient pas être captés par une élite privilégiée, à ceux que Pierre Bourdieu nommait « les héritiers » ?
Cet ouvrage, nous ne chercherons pas à le définir par un mot qui en restreindrait la portée. Ce n’est pas un manuel scolaire, pas plus une encyclopédie, non c’est un guide qui nous ouvre au monde et nous permet de faire des liens inédits. C’est un remède salutaire contre l’étroitesse d’esprit, contre les préjugés, contre nos petites certitudes, contre notre tentation occidentale de nous rassurer avec une identité figée, autocentrée, persuadés que nous pouvons être de détenir une quelconque vérité absolue.
Certes, dans un ouvrage comme celui-ci, qui tend à l’exhaustivité, certaines notions sont parfois abordées rapidement mais toujours de façon sérieuse au niveau de ses sources. Si notre curiosité nous pousse à creuser davantage un thème, rien ne nous empêche, dans ce cas, d’aller chercher d’autres ouvrages de référence plus spécialisés pour compléter notre documentation. Cet ouvrage aura eu au moins le mérite de nous obliger à nous décentrer, à nous proposer une ouverture aux autres civilisations qu’européennes : les civilisations asiatiques, africaines, américaine, pour relativiser les questions de normes et de valeurs, de savoirs et de suprématie.
Avec ce travail, Florence Braunstein et Jean-François Pépin font un véritable acte militant. Leur projet est humaniste avec une volonté pédagogique délibérée d’ouvrir la culture générale au plus grand nombre en creusant le fondement et les fondations de notre patrimoine collectif et personnel. De cela, nous ne pouvons que de leur en être infiniment gré.
Pierrette Epsztein
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