Un humour impossible, Christine Anglot
Un humour impossible, Christine Anglot, Onlit éditions, mars 2016, 64 pages, 8 € (978-2-87560-072-1)
Parodie de parodie…
Un amour impossible (1), le dernier roman de Christine Angot, avait, comme la majorité de ses textes précédents, divisé la critique. D’un côté, ceux qui trouvent qu’il est haïssable d’exposer ainsi le « moi », qu’il est condamnable d’écrire l’intime, que le « je » ne peut se réduire qu’à lui-même et qu’il est donc vain de le penser, de le déplier, de tenter de le saisir dans sa complexité, sa relation aux autres, dans le regard qu’il porte sur autrui. Le « je » ne serait par définition qu’une manifestation du narcissisme et du nombrilisme de quiconque en fait l’usage en son nom propre… De l’autre, ceux qui croient en la vertu du « je », en sa capacité à se dépasser, à raconter des histoires qui vont au-delà du « moi » car, selon la formule de Montaigne, « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ». Ils pensent que le « je » est par nature le ressort de toute création, qu’il est courageux de l’exposer, d’autant plus quand il ne cherche pas à se complaire dans l’image qu’il renvoie de lui-même. « Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! (2) ». On pourrait dire qu’il y a dans la présentation de ce débat une once de caricature… On comprendra, à la lecture de Un humour impossible, que l’on n’est pas à une caricature près…
« L’auteur de Michel Ouellebeurre, La tarte et le suppositoire (de Fallois) nous revient avec la parodie hilarante d’un autre monument de l’édition française contemporaine », nous dit-on (3)… Un humour impossible de Christine Anglot (sous-titré Autofriction du nombril) s’attaque donc à « la reine de l’autofiction », ainsi que certains la désignent, alors même qu’elle a toujours réfuté le terme. Plus que de « parodie », cependant, on parlera davantage ici de caricature à gros trait, de bouffonnerie, de potacherie un peu grasse et souvent graveleuse. L’histoire (très courte – moins que les 64 pages annoncées) reprend la trame d’Un amour impossible, à savoir la relation complexe qu’entretinrent la mère et le père de la narratrice, à Châteauroux, à la fin des années 50, puis le récit que fait la narratrice de sa relation incestueuse avec son père. L’auteur multiplie les jeux de mots douteux (« Et ma mère a montré sa chatte au roux », « J’oublierai jamais le jour où mon père manque Ulla », « – Somatisée ? En Suisse ! s’est exclamée ma mère. – Oui, par le trou de Bâle. – Oh la la a dit ma mère, déjà qu’il la bassinait avec Nietzsche, maintenant en plus il va l’empêcher de faire Kafka », « UNE aigrie vaine »), les erreurs de conjugaison et de grammaire supposées pasticher le style de l’auteure, les phrases absurdes « dénonçant » la vacuité de ses écrits… mais, disons-le, tout cela tourne rapidement à vide. Cette mécanique, parce qu’elle manque de subtilité (ce que nécessite la parodie) apparaît simplement comme « bête et méchante ». Tous ceux, d’ailleurs, qui ont défendu ou pourraient défendre Angot (Le Monde, Télérama) en prennent pour leur grade et sont aussi inclus dans ce qui prend parfois l’allure d’une diatribe – l’argumentation en moins.
C’est peut-être, finalement, parce que la critique est trop grossière – dans tous les sens du terme – qu’elle amuse peu. Il s’agit moins de dédouaner Angot de ses possibles « tics » de langage, de l’énervement qu’elle est probablement capable de susciter, de nier son omniprésence dans les médias à la parution de chacun de ses livres, que de souligner que la parodie, pour être réussie, doit se baser sur une connaissance fine de l’œuvre que l’on veut parodier. L’humour reste donc possible… Seulement faut-il savoir de quoi l’on rit…
Arnaud Genon
(1) Christine Angot, Un amour impossible, Flammarion, 2015
(2) Victor Hugo, Les Contemplations, Préface, 1856
(3) Présentation de l’éditeur
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