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Un homme de tempérament (A Man of Parts), David Lodge (par Léon-Marc Levy)
Un homme de tempérament (A Man of Parts). Trad de l’anglais Martine Aubert. 2012. 706 p. 24,50 €
Ecrivain(s): David Lodge Edition: Payot Rivages
Les « Lodge’s fans » doivent être avertis : ce livre se situe dans la ligne de « Author ! Author ! » : c’est son second roman/biographie. Le premier s’intéressait à Henry James. A son échec cuisant en tant qu’écrivain pour le théâtre. Et – pour être honnête – nous sommes quelques-uns, parmi les fans de Lodge, à ne pas en avoir gardé un souvenir impérissable (longueurs, linéarité, temps morts …)
Dans « Un homme de tempérament » Lodge se penche sur son compatriote, le passionnant et complexe H.G. Wells, l’auteur inoubliable de « la guerre des mondes » et « la machine à explorer le temps ». Et David Lodge nous offre un roman éblouissant qui fait vivre non seulement un personnage fascinant mais aussi un monde qui ne l’est pas moins : celui des rêves scientistes et progressistes, celui des sociétés et cercles d’intellectuels « engagés » qui rêvent d’une modernité faite de justice, de raison et de liberté.
Sous la plume élégante, classique et très british de Lodge, des épisodes de la vie de Wells sont disséqués avec minutie, alternant les passages purement biographiques et – quand les matériaux se font plus rares – des passages fictionnels. Mais qu’on ne s’y trompe pas : David Lodge ne plaisante pas avec la vérité et la rigueur biographiques. Même ses pages romanesques sont nourries au millimètre par une documentation à toute épreuve et une exactitude absolue quant aux personnages et événements. Tout ce qui est mis en scène dans ce livre relève de la vérité historique ou/et de la fiction vraisemblable.
« Presque tout ce qui se passe dans le livre est soit inspiré de faits réels, de personnes réelles, de relations réelles, soit compatible avec ce que l'on sait de l'histoire de Wells, qui m'apparaît en lui-même comme un personnage de roman. Toutes les situations, les écrits, les discours reprennent les mots mêmes que l'on retrouve dans les livres écrits par ou sur lui. Ma liberté de romancier a été d'imaginer ce que ces personnages hauts en couleur ont pu penser ou ressentir, ou ce qu'ils se sont dit dans des scènes dont les biographies historiques ne nous ont rien livré, et pour cause. » (Propos recueilli par Michel Schneider pour « Le Point »)
A commencer par le moment où David Lodge situe l’entrée de son livre : H.G. Wells est au crépuscule de sa vie – nous sommes en 1945 – et le père de « la guerre des mondes » vit sous les bombes dans sa maison près de Regent’s park.
« Une seule maison, le numéro 13, a été occupée de façon permanente pendant toute la durée de la guerre par son propriétaire, Mr H.G. Wells. Pendant le blitz de 1940-1941, il s’est souvent entendu dire plaisamment que c’était un chiffre qui pouvait porter malheur, à quoi il a réagi, fidèle au mépris de toute une vie pour la superstition, en faisant peindre sur le mur à côté de sa porte d’entrée un « 13 » encore plus grand. »
Les V1 et V2 tombent sur Londres, derniers soubresauts d’un nazisme défait. Le vieil écrivain (il a alors 80 ans) vient d’apprendre qu’il souffre d’un cancer du foie et se sait condamné à court terme. Il va alors revenir sur des moments clé de sa vie d’écrivain, de militant socialiste, d’utopiste scientifique et (surtout ?) de grand « consommateur » de femmes prônant la fin du couple traditionnel et l’avènement de l’amour libre.
« L’esprit est une machine à explorer le temps qui voyage en arrière dans la mémoire et en avant dans la prophétie, mais il en a terminé avec la prophétie maintenant. »
David Lodge, autour de ce matériau, écrit un magnifique roman dans la grande tradition anglaise. Un roman où les torrents de passion, les rudesses de l’amour, la guerre des egos, ont pour cadre l’intérieur chaleureux et confortable des clubs et maisons anglaises. Un peu comme les meurtres délicieux d’un roman d’Agatha Christie, qui seraient racontés par la plume d’une Jane Austen.
Le travail de traduction de ce livre est exemplaire : au-delà de sa précision impeccable, la traductrice, Martine Aubert, réussit le tour de force de créer un authentique univers stylistique, fait de fluidité et de classicisme. Le choix éditorial du titre français est assez éloigné du titre original, « A man of parts », qui serait plus proche de « un homme à facettes » ou mieux « un homme en morceaux ». De fait le titre français « tire » le livre vers la sexualité débridée de H.G. Wells, qui certes occupe une belle part de sa vie tourbillonnante.
Néanmoins, le livre de David Lodge raconte de Wells bien plus et bien autre chose que la passion des femmes : C’est une ode vibrante non pas à H. G. Wells seulement mais aux grands idéaux – utopiques fussent-ils - qui l’ont porté et qui restent d’une actualité brûlante.
Léon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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