Un Galgo ne vaut pas une Cartouche, Jean-François Fournier (par Philippe Chauché)
Un Galgo ne vaut pas une Cartouche, Jean-François Fournier, Olivier Morattel Éditeur, octobre 2023, 168 pages, 16,50 €
Edition: Olivier Morattel éditeur« Alors, il est prêt dans son habit goyesque sans paillettes. Le peuple va tout oublier. L’ennui, les impôts, le bureau, les baises minables, Dieu qui a déserté le Nou Camp, ses bouquins à lui, les gribouillis de l’Autrichien comme les beuveries et les combats sur toiles de son alter ego Francisco de Goya y Lucientes. Il monte le son. Le galgo siffle et pointe sa truffe sur le duo de commentateurs qui déborde du téléviseur ».
Mais qui est donc ce galgo qui donne son titre à ce roman ? et que signifie cette phrase, qui sonne comme une sentence ? Et cela en est une ! Le galgo est un lévrier qu’adoptent en Espagne les chasseurs pour traquer les lièvres, et qui risque sa vie s’il ne répond pas aux attentes de son maître. Et l’adage veut qu’une cartouche de fusil est une mort trop douce pour le chien qui ne traque pas bien les lièvres, il sera donc, pour certains, torturé et pendu. Grâce à Dieu, le galgo du roman de Jean-François Fournier est en de bonnes mains et sous haute et étonnante protection romanesque, celle des personnages du roman, tous plus touchants les uns que les autres, et pour l’animal gracieux, traverser ce roman sera une partie de plaisir, après avoir, nous le saurons plus tard, frôlé la mort.
Le premier opus de ce roman s’ouvre à Barcelone à quelques phrases du Barrio Chino qui fut un quartier volcanique, quartier du sexe et de la drogue, où se croisaient marins, écrivains, toreros, touristes, et mafieux, des bars de nuit, des clubs privés, des dérives souvent alcoolisées, le dernier opus en forme d’épilogue est le testament romanesque du galgo blanc, baptisé Canela, des frayeurs aux douceurs, attentif à tout, balloté d’humains en humains, aux mille attentions, et qui recèle les secrets de ceux qui l’ont un temps adopté. Avant cela nous aurons fait escale à Barcelone, à Vienne, à Prague, mais aussi à Marseille, à Paris et à Genève, mille aventures pétillantes, picaresques, débordant de folies créatrices. Nous croiserons un écrivain, el présidente, car un torero se doit d’avoir un surnom, un apodo, un peintre, surnommé « Goya » par son logeur barcelonais, un saxophoniste de jazz, qui rêve de Coltrane à Marseille, la serveuse d’un bar musical, une chanteuse d’opéra, des artistes que rien n’arrête, que rien n’effraie, et surtout pas le qu’en dira-t-on, ou encore le qu’en pense-t-on, tant répandus de nos jours !
« Elle n’a jamais senti cela auparavant. Cette secousse qui emporte chaque recoin de soi-même dans un monde où, dédoublé, on se voit d’en haut, parfaitement abandonné, extatique, la peau tendue comme un tambour chamanique, heureux et apeuré dans le même souffle, à la fois dans l’instant d’avant et dans celui d’après. Le sexe peut tuer, mais là, soudain, il rend immortel, les cadrans n’ont plus d’aiguilles, danse la lumière du grand orgasme et passent les heures ».
Jean-François Fournier est un écrivain gourmand qui sait cuisiner, et son dernier roman se déguste avec frénésie, tant son style est éblouissant. Éblouissant et réjouissant, tant la langue française y retrouve toute sa folie, son élégance, sa légèreté, sa force, sa grâce, sa troublante séduction. Pas un instant elle n’est contaminée par la moraline qui affecte de nombreux romans contemporains, elle ne cherche pas à se faire bien voir, et contrairement aux dames plus ou moins dévêtues du Barrio Chino, elle ne racole pas, elle ne se cache pas non plus, car la chair ici se fait langue et le verbe est chair. Jean-François Fournier est un écrivain volubile, à la langue affûtée et vivace comme une plante sauvage. Il possède l’art romanesque de la description, celui de faire vivre et rayonner un personnage, et une étincelante maîtrise de la composition romanesque, on pourrait y ajouter le plaisir du rebondissement et de la surprise. Ce roman composé de dix petits romans est une fresque réjouissante, qui éclabousse le lecteur de plaisir, roman épicurien, gouleyant, où de grands vins flirtent avec de belles phrases, où des tableaux surgis du passé embrasent des mots rares et des phrases enluminées, une longue mélodie qui tourne et retourne dans la tête du lecteur, à la manière de Love Supreme de John Coltrane, une longue et belle prière inspirée et improvisée, dédiée à l’art romanesque.
« El presidente écrit des romans parce que personne ne le lui demande. Qu’il a l’impression d’accoucher ainsi le monde entier, de faire l’histoire, de proposer un miroir aux borgnes et aux aveugles, de combattre des femmes aux cornes magiques et de conquérir le cœur des aficionados en quelques tercios et autant de vueltas. Le roman, ses romans, sont plus destructeurs que tous les alcools d’Espagne. Et c’est pour ça qu’il aime la littérature ».
Philippe Chauché
Jean-François Fournier est l’auteur de vingt-six ouvrages dont neuf romans, dont La nuit qui tua Juan Don (L’Âge d’Homme), Le Chien (Xénia), Les démons du Pierrier (Ed. Gore des Alpes), et Le Valais gourmand, avec le photographe Pierre-Michel Delessert, guide gastronomique (Ed. Château & Attinger).
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