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Un été de glycine, Michèle Desbordes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy 28.02.22 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Verdier

Un été de glycine, Michèle Desbordes, 108 pages, 13 €

Edition: Verdier

Un été de glycine, Michèle Desbordes (par Léon-Marc Levy)

Il serait impossible de classer ce livre dans un genre. Essai, un peu. Biographie, un peu plus. Roman, peut-être. L’auteure nous dit une passion. Une passion folle, dévorante, obsessionnelle, amoureuse. Sa passion pour un homme, qui hante sa vie. Il s’appelle William Cuthbert Falkner, dit William Faulkner. Il a écrit des livres. Elle a lu ses livres. Un amour fou qui, pour se dire vraiment, doit emprunter les mêmes voix que son objet, l’écriture.

Michèle Desbordes se livre à un exercice virtuose de tressage de trois fils : les œuvres de Faulkner – en particulier Lumière d’août – la vie de Faulkner et, plus légèrement, presque de façon allusive, comme le fil le plus ténu, elle-même dans son rapport aux œuvres de Faulkner.

L’univers romanesque de Faulkner est le fil majeur de la tresse. Ses personnages reviennent en antienne, obstinément : Sutpen, Comson, Coldfield, et cette jeune fille, comme un fantôme errant, qui marche, avec son bébé dans le ventre, en cet été de glycine, pour aller à la quête de l’homme qui en est le père, « celui dont le nom a les mêmes initiales que Notre Seigneur », J.C., Joe Christmas, le mulâtre. Scène inaugurale de Lumière d’août qui revient comme le refrain d’une chanson douloureuse.

« La maison, le livre qui parle de la grande chaleur d’août et des routes brûlantes qui vont d’Alabama à Jefferson, comté d’Yoknapatawpah, où marche bravement et sans même savoir que c’est là qu’elle se rend, une fille qui s’appelle Lena Grove. Il parle de cette fille qui marche sans savoir où elle va, et lui à ce moment n’en sait guère plus si ce n’est que cette fille-là très jeune et venue de très loin marche ses brodequins d’homme à la main sur une route inconnue, avec dans le ventre et tout le corps de quoi attirer l’attention à un mille à la ronde ».

La faute, l’expiation, la chute des grandes maisons du Sud font dans ce court livre une ritournelle, avec ses répétitions, ses refrains, ses envois. Michèle Desbordes dit poétiquement son amour, dans une langue qui ne manque pas parfois, ici et là, de se nicher dans les traces du maître sudiste. Le Sud et l’immense traumatisme de la défaite, fait de regrets, de culpabilité, de honte aussi. Le Sud, que ce livre réveille, avec ses maisons peuplées de gens qui n’en finissaient pas de payer dans leur âme les fautes que leurs aïeux avaient commises et dont ils se sentaient les héritiers obligés. Le Sud que William Faulkner a chanté comme personne pour en laisser à jamais des images, des personnages, des histoires qui le figent dans le temps, lui donnent sa revanche, sa grandeur, sa rédemption enfin.

« Car il ne s’agit pas d’être heureux. La pensée de quelque chose qui pût ressembler au bonheur n’était pas de celles que là-bas, dans Yoknapatawpha, il vous était demandé d’avoir. Il n’y avait sans doute rien de plus déplacé, de plus inconvenant, qu’une idée comme celle-là dans ce comté où toute l’ombre du pays s’était réfugiée, et le jour venait où ils mangeaient tous du même pain, les Blancs grands-et-petits et, à peine sortis de l’enfer, les Nègres fils et petits-fils d’esclaves qui les servaient encore. Il ne s’agissait pas d’être heureux mais de souffrir comme il fallait […] ».

Et vient comme une ombre suivie tout au long des chapitres, William Cuthbert Falkner, l’homme, le taiseux, le sombre, qui écrit et écrit encore, comme pour exorciser ses démons et ceux du Sud, celui qui se saoule et se noie dans les flux de conscience de ses personnages et les bouteilles, sans cesse plus nombreuses, de Jack Daniel’s. Celui qui s’invente une autre vie à côté de sa vie parce qu’il est déçu, dévasté, par l’étroitesse de son existence hors de son œuvre, sa triste vie de tous les jours. Alors il s’invente héros d’Amérique, pilote de guerre, combattant exemplaire lui qui n’a jamais mis les pieds dans un avion de combat.

William Faulkner trouve sous la plume élégante de Michèle Desbordes un portrait en fugue, léger, fulgurant, profondément touchant.

 

Léon-Marc Levy


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A propos du rédacteur

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /