Un dimanche de révolution, Wendy Guerra
Un dimanche de révolution, 24 aout 2017, trad. Espagnol (Cuba) Marianne Millon, 211 pages, 19 €
Ecrivain(s): Wendy Guerra Edition: Buchet-Chastel
La littérature d’un pays peut révéler, d’une manière convaincante et efficace, les réalités de la société décrite par ses auteurs, ses blocages, ses drames, ses souffrances. C’est le cas de Cuba, pays de l’espérance révolutionnaire tiers-mondiste dans les années soixante, puis le théâtre d’un développement inexorable de la répression vis-à-vis de ceux qui « pensent autrement », les dissidents. Roberto Ampuero avait fort bien décrit la perversion des idéaux de l’origine dans son roman Quand nous étions révolutionnaires. Zoe Valdès avait évoqué cette situation de l’artiste confronté aux limitations de sa liberté d’écrire dans Chasseuse d’astres.
Dans Un dimanche de révolution, Wendy Guerra reprend cette thématique, celle de la situation de l’artiste, de son identité face à un régime hostile, omniprésent, s’immisçant sans cesse dans la vie privée des citoyens, au point de l’anéantir ou de la rendre très illusoire.
Cleo est une poétesse, une romancière d’origine cubaine, elle cherche la reconnaissance littéraire mais ne l’obtient guère. Elle est en permanence la proie du soupçon : celui des exilés cubains, qui la prennent pour un sous-marin du régime, et celui des Cubains de l’intérieur, restés dans l’île pour des raisons d’opportunisme, de conformité intellectuelle :
« Ils voulaient un final épique, dans le style soviétique, car c’était leur référence même s’ils la repoussaient, la niaient et la déchiquetaient dans leurs gestes quotidiens ; telle était leur formation ; soviétique ».
Ce qui est magistralement décrit, ce sont les états psychologiques par lesquels passe l’héroïne : la solitude, la paranoïa provoquée par une surveillance bien réelle et des perquisitions répétées de son domicile, les interrogations sur son œuvre littéraire. Pour qui écrit-on ? Au nom de quoi ? Les passages les plus émouvants concernent ce qui anéantit l’identité, la personnalité, la singularité des individus :
« Ce mépris, cette posture collective kaki glorifiée et pérenne brevette la virilité et l’uniformité (…) écrasant ainsi tout soupçon d’individualité, de délicatesse, touche personnelle ou clin d’œil d’indépendance visuelle ».
Mais ce roman va plus loin encore, il se poursuit par une révélation faite à Cleo par l’un de ses amis, Geronimo Martines, un acteur originaire du Nicaragua. Cet aveu concerne ses liens de paternité, elle ne serait pas Cleopatra Alexandra Perdiguer, mais la fille du mauricien Antonio Rodriguez, né à Washington DC aux États-Unis ! S’ensuit une nouvelle interrogation pour Cleo : qui est-elle ? Américaine, Cubaine ? Elle va trouver la solution dans le départ de Cuba mais elle ressent immédiatement le déchirement de l’exil :
« Nous avons décollé. Je sentais Cuba se détacher progressivement de mon corps, mon âme tenter de soutenir la terre (…) Sans Cuba je n’existe pas. Je suis mon île ».
Ce roman séduira par la finesse des descriptions, par la profondeur des interrogations soulevées par Wendy Guerra. La sauvegarde de l’identité, le prix de la vie intérieure y trouvent une place essentielle, et c’est heureux.
Stéphane Bret
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