Un conte du chat perché, Marcel Aymé (par Yasmina Mahdi)
Un conte du chat perché, Marcel Aymé, Les Editions des Eléphants, 2020, ill. May Angeli, 44 pages, 16,50 €
Histoires de la ferme
Quelques préliminaires en guise de ce livre pour enfants : May Angeli, franco-tchèque née en 1935, formée à l’École des métiers d’art à Paris et à l’Académie d’arts graphiques d’Urbino, pratique plusieurs techniques dont celles de la gravure sur bois et a illustré de nombreux ouvrages. Elle a obtenu en 2013 le Grand Prix de l’Illustration à Moulins. Elle travaille également pour le cinéma et les spectacles de marionnettes, ainsi qu’avec la section tunisienne d’Amnesty International. L’écrivain français Marcel Aymé (1902-1967) a utilisé différents niveaux de langage pour sa série de contes, créés entre 1934 et 1946, étudiés en linguistique. Son œuvre (qui a pu faire débat) est publiée en Pléiade. Ses Contes du chat perché sont régulièrement adaptés à la Comédie Française.
Le problème, l’un des Contes du chat perché, se déroule en milieu rural et aborde la question de l’éducation à la campagne. Deux sœurs, filles de fermiers, Delphine et Marinette, obligées de faire leur devoir de mathématiques, préfèrent dessiner. Mais elles doivent s’atteler à résoudre un problème d’arithmétique, sous peine d’être punies par leurs parents. Donc, pour en venir à bout, le chien, un berger briard, va les aider. À l’instar de Colette, les animaux sont anthropomorphisés et utilisent le langage humain afin de déchiffrer cet exercice de calcul. Le conte est le prétexte à faire rebondir le récit, à la façon d’une comptine. Ainsi, le conte et les comptes dérivent en une espèce de décompte. La solution s’avère difficile, un vrai casse-tête ! Et à la manière des fables de La Fontaine, c’est le plus humble des volatiles, une petite poule blanche – volaille destinée à être sacrifiée pour alimenter les humains –, qui va donner la réponse correcte aux deux fillettes. L’ensemble de la ferme, des bêtes domestiques, de basse-cour, sont convoquées pour solutionner le devoir.
L’énumération est une constante dans l’œuvre de Marcel Aymé, doublée d’une certaine angoisse et d’un sens de l’absurde, et également d’une pointe d’humour. La magie des chiffres est opérante, au milieu des péripéties dans la forêt, et c’est au tour des bêtes sauvages d’essayer de trouver la solution, c’est-à-dire de « savoir combien il y a de chênes de hêtres et de bouleaux dans les bois de la commune… ». Bientôt, les bois vont résonner de cris joyeux et de disputes. L’opposition est traditionnellement marquée entre le monde des adultes et celui des enfants. La parole donnée aux animaux vient rompre cette donnée du réel en introduisant les notions de fantaisie et de fantastique. Ces derniers en profitent pour dénoncer leur condition et les actes de cruauté de leurs maîtres. La maîtresse qui soumet le devoir est déroutée, l’on sent une remise en question de l’autorité, du poids de son absurdité. Dans cet exercice, les bêtes ont plus d’esprit que les maîtres d’école. Les animaux doués de raison aptes à résoudre des équations, se verront gratifiés de bons points et de prix – l’exact contraire du bonnet d’âne…
Les 30 illustrations de May Angeli accompagnent la nouvelle. Les gammes chromatiques tendres des formes estompées des planches gravées sont traitées en aplat pour les couleurs et en reliefs blancs pour les contours. L’incise de la gouge est visible, pour signifier les poils du chien, les ailes des volatiles, les zébrures des pelages, les stries des troncs d’arbres, de façon sommaire. Les coloris se juxtaposent parfois comme un glacis sans recouvrir totalement la couche de la première teinte, et la couleur se dilue librement en masse et en lavis. May Angeli emploie l’or et le bleu caeruleum des enluminures des manuscrits. Les marcassins, l’imposant sanglier et l’écureuil en voltige sont magnifiques. Le rose du cochon tranche sur le reste, ce qui lui vaut bien des sarcasmes de son cousin lointain, le sanglier. La petite poule blanche est stylisée à la façon des maîtres chinois de l’animation. La difficile technique de la gravure sur bois se rapproche en cela de la sculpture, et l’illustratrice compose des fonds indéterminés, presque abstraits.
Pour rappel historique, notons que la xylogravure participe de l’écriture, du dessin, l’encrage de couleur ou de noir et blanc se révèle à l’impression. La gravure sur bois de fil s’est vue supplantée par la photographie et la similigravure mais c’est Félix Vallotton, Edvard Munch et la grande graveuse allemande, Käte Kollwitz (1867-1945), qui vont réintroduire ce procédé. Les représentations assez expressionnistes de May Angeli ajoutent un surcroît savant sans se substituer intégralement au texte, mais en amplifiant ce 17ème épisode des Contes du chat perché.
À partir de 6 ans.
Yasmina Mahdi
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