Un chien sur la route, Pavel Vilikovsky (par Sylvie Ferrando)
Un chien sur la route, mars 2019, trad. slovaque Peter Brabenec, 224 pages, 19 €
Ecrivain(s): Pavel Vilikovsky Edition: Phébus
Remettre à l’honneur la Slovaquie, sa capitale Bratislava et sa littérature, Livre Paris l’a fait en mars 2019 avec ce roman de Pavel Vilikovsky, à la fois récit d’un exil et de la reconnaissance de son pays et de son identité de Slovaque. En voyage de promotion culturelle de la littérature slovaque après la chute des régimes communistes, dans des pays voisins comme l’Autriche, la Pologne, la Hongrie, l’Allemagne, le narrateur, écrivain slovaque retraité, y cherche des points de convergence et des points de divergence d’avec son peuple. Il remarque que les Slovaques ont tendance à transgresser les règles dans leur pays, mais s’adaptent aisément à la vie en pays étranger. L’Europe demeure un espoir pour lui.
S’il y a un peu du Voyage sentimental à travers la France et l’Italie (1768), écrit et publié à la fin de la vie de l’écrivain irlandais Laurence Sterne, c’est Thomas Bernhard que Vilikovsky prend pour modèle, auteur autrichien internationalement célébré, qui dénigre son pays. Le narrateur est accompagné de Gabo et Dusan, poètes et écrivains slovaques avec lesquels il entretient des conversations littéraires et se livre joyeusement à la boisson.
Est-ce la littérature qui change la vie ou la vie qui modifie la littérature ? L’auteur penche pour la deuxième assertion, mais « L’art est notre dernière grande illusion[…] et nous ne devrions pas nous en priver à la légère ». Y a-t-il un destin slovaque, comme il y aurait un destin autrichien ou allemand ?
Avec Grétka, une Autrichienne résidant aux Etats-Unis rencontrée au hasard de son périple littéraire, il parle romans américains du XXe siècle, dont il est fin connaisseur : Fitzgerald, Hemingway, Faulkner, Thomas Wolfe et Thoreau. Mais Vilikovsky connaît bien également les romanciers allemands comme Thomas Mann (Les Buddenbrook, 1901) ou Robert Musil (L’homme sans qualités, 1930-33), dont on retrouve dans le récit certains accents désenchantés. On assiste au cours du récit à une scène de sexe ironique au cours de laquelle le narrateur dialogue avec son pénis. « Baiser en langue étrangère comporte une valeur ajoutée, quelque chose de spécial ». Les Slovaques sont réputés être de bons amants.
Vilikovsky s’exprime dans une belle langue (merci au traducteur) et manifeste cet humour humble et fantaisiste des Européens ayant vécu sous la férule des régimes communistes, et y ayant perdu beaucoup d’illusions. « Les Slovaques aspirent désespérément à être admirés et reconnus. On le voit quand on pense qu’ils s’accrochent même à la littérature, l’ultime planche de salut ». Sous le régime communiste « les Slovaques sont tout simplement tombés amoureux du moindre mal ». Il livre une réflexion clairvoyante sur la censure : s’il est difficile d’être pauvre, indépendant et ascète sans argent, il est encore plus difficile de garder une pensée libre et personnelle quand la censure est dans votre dos, et a fortiori quand vous prenez vous-même des responsabilités au sein du parti communiste. Dans ce cas, il est quasiment impossible de conserver cette « spontanéité pure et joueuse qui est à la base de toute création ».
Cette réflexion sur la littérature européenne et américaine porte également sur la réception du texte : « La réalité du livre, c’est le lecteur ». Pour passer à la postérité, nous dit Vilikovsky, il faut non seulement créer une langue, mais aussi créer un cercle de lecteurs. Sans quoi les jeunes générations d’écrivains, les disciples balaieront l’œuvre du maître. « J’ai passé toute ma vie avec la littérature, j’ai donc envie de la raccompagner sur son dernier chemin » ; fidèlement, comme « un chien sur la route » suit son maître, un chien un peu fou et néanmoins empli de joie.
Sylvie Ferrando
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