Tunisie des lumières : Haddad, Masika, Ben Achour, Bourguiba...
Avec une superficie 14 fois plus petite que celle de l’Algérie, 10 fois plus petite que celle de la Libye et deux fois et demi moins que celle du Maroc… la Tunisie est un grand pays. Une terre faite de songes et de symboles. Un pays est grand, non pas par son immensité géographique ou par le nombre de têtes de sa population, mais par le génie de ses habitants. Par l’intelligence approuvée à travers son Histoire par ses élites politiques, culturelles et religieuses éclairées, la Tunisie fait partie de ces pays des grands. La Tunisie est le pays du « vivre ensemble ». D’hospitalité. De parfum de vie. De respect de l’autre. De différence.
En guise d’une leçon immortelle, l’histoire de la musique, du théâtre et de la résistance culturelle des années trente, a inscrit en lettres d’or le nom de Habiba Msika (1903-1930), artiste tunisienne juive. Elle était aimée jusqu’à l’adoration par tous les citoyens tunisiens, toutes religions confondues. Sa mort tragique, tuée par un amant jaloux, un juif tunisien, a mis tout le pays dans la tristesse et la peine. En signe de respect, image forte de la culture de la citoyenneté, le jour de son enterrement, les Tunisiens en foules étonnantes, ont accompagné son cercueil vers sa demeure dernière. Ont prié sur son âme. La citoyenneté avant la religiosité est le principe fondateur de la personnalité tunisienne. Précocement, l’enterrement de Msika fut un barrage contre toute culture d’exclusion, de xénophobie ou d’inquisition.
Ce petit-grand pays de Msika la juive nous a donné aussi un Tahar Haddad (1899-1935), écrivain éclairé, penseur audacieux, défenseur des droits de la femme musulmane. Ennemi farouche des conservateurs, des islamistes et des wahabistes. Son livre, Notre femme dans la charia et la société, publié en 1930, est une révolution dans la pensée libre, dans le monde arabo-musulman. Tahar Haddad, fils de cette Tunisie menacée aujourd’hui par les obscurantistes, est considéré comme le pionnier de la modernité religieuse au Maghreb et dans le monde arabe. Tahar Haddad, par sa présence symbolique ancrée dans l’imaginaire de la nouvelle intelligentsia tunisienne, est une forme de résistance intellectuelle érudite contre la culture barbare islamiste qui, aujourd’hui, menace la Tunisie.
Ce petit-grand pays, la Tunisie, nous a produit également l’éminent savant Mohamed Tahar Ben Achour (1879-1973), étendard des lumières, le plus brillant d’une grande famille d’intellectuels religieux, littéraires, linguistes et juristes. Son œuvre, Attahrir wa Attanwir (La libération et l’illumination) en trente volumes, a fait de la Zaytouna un lieu de savoir religieux plus ouvert que celui d’El Azhar. Par ces ulémas, à l’image de Mohamed Tahar Ben Achour, en reconnaissance à la spécificité religieuse éclairée de la Tunisie, les historiens ont écrit : ce ne sont pas les Arabes qui ont islamisé la Tunisie, mais ce sont les Tunisiens qui ont tunisianisé l’islam.
Ce petit-grand pays fut aussi le pays qui a donné les meilleurs livres sur les sujets tabous ; le sexe, la musique, les femmes et l’homosexualité, à l’image des œuvres de Nefzaoui, de Tifachi, de Douagi… La bibliothèque universelle classique est riche par les écrits des Tunisiens dans des domaines considérés par les conservateurs arabo-musulmans comme de l’hérésie, de l’apostasie.
Ce grand-petit pays, la Tunisie, a donné aussi à la littérature arabe et maghrébine le doyen de la modernité romanesque. Il s’appelle Mahmoud Messadi (1911-2004), auteur de : Essoud (Le Barrage),Haddathâ abou Houraïrata qâl (Ainsi parlait Abou Houraïra), Mawlidou’Nissiâne (Naissance de l’oubli)…
Dans ce pays grand à la taille d’un beau rêve, la Tunisie, le 13 août 1956, sur les traces de Tahar Haddad et de Mohamed Tahar Ben Achour… Habib Bourguiba fut le premier et le dernier chef d’État arabo-musulman à interdire la polygamie ! Le monde arabo-musulman, quinze siècles durant, a connu trois personnalités qui ont fait de la modernité leur vrai cheval de bataille : Mustapha Atatürk de Turquie, Pahlavi d’Iran et Bourguiba du monde arabo-berbère.
En ces jours difficiles, La Tunisie des lumières, terre de : Abdelwahab Meddeb, Albert Memmi, Tawfik Bakar, Mohamed Talbi, Hichem Djaït, Med Mahdjoub, Emna Belhaj Yahia, Ezzedine Madani, Colette Fellous, Youssef Seddik, Salah Garmadi, Tahar Bekri, Ouled Ahmed, Hassouna Mosbahi, Fethi Benslama, Habib Selmi, Med Ali Yousfi, Moncef Mezghani, Moncef Louhaïbi, Hélé Béji et d’autres… ne cédera jamais à la barbarie islamiste.
Le pays de la citoyenneté commune, la Tunisie, où les femmes sont les garantes des lumières, n’abandonnera jamais son rêve de faire triompher la modernité, la démocratie, la pluralité et la justice.
Que les Tunisiennes et les Tunisiens sauvegardent la Tunisie belle et plurielle !
Amin Zaoui
In "Souffles", "Liberté Alger"
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