Tuer Jupiter, François Médéline (seconde critique)
Tuer Jupiter, août 2018, 224 pages, 16,90 €
Ecrivain(s): François Médéline Edition: La Manufacture de livres
Le lundi 12 novembre 2018, un peu après 4 heures du matin, juste après la fin des cérémonies de commémoration du 11 Novembre, le Président de la République française Emmanuel Macron succombe à une tentative d’assassinat réussie, aussitôt revendiquée par Daesch. Il est enterré au Panthéon le 2 décembre, en grande pompe, au milieu de l’émotion de ses proches et de la nation tout entière.
A partir de cette date, François Médeline, qui connaît bien, pour les avoir fréquentés, les arcanes du pouvoir, remonte le temps et, mois par mois, semaine après semaine, dévoile l’énorme et sophistiquée mécanique qui, de Moscou à Washington DC, de Villejuif à Aubervilliers, des eaux territoriales israéliennes au large du Sahara occidental, de l’Elysée à New Delhi, orchestre le meurtre présidentiel.
Médéline maîtrise avec brio le langage politico-médiatique des coulisses du pouvoir, qui s’exprime sans ambages, sans rhétorique travaillée et cherche avant tout à atteindre son but. Cette pragmatique de la langue, cette brutalité linguistique et les tweets d’Internet forment une mosaïque révélatrice des intérêts et des émotions croisés de la planète. Grands de ce monde et obscurs anonymes se côtoient au fil des pages. Mais ce sont surtout les travers des chefs d’Etat et de leurs familles ou ministres qui sont mis en relief dans des dialogues éminemment satiriques.
« Brigitte Macron se dressa sur la pointe des pieds. Elle lui déposa un smack sur les lèvres.
– Ne sois pas trop dur avec Gérard.
– Il voulait annuler le 11 Novembre, quand même. Et mes deux déplacements de la semaine.
– Gérard tient à toi. C’est le seul à avoir de l’affection pour toi.
– Très bien. Formidable ! Mais il faut garder la tête froide, et le sang aussi. Je vais pas me déballonner au premier orage.
Manu recula de deux pas. Bibi lui retenait encore le bout de l’annulaire.
– On en reparle plus au calme si tu veux.
– Non, ça va, ça va.
Bibi retourna au lave-vaisselle. Elle se courba sur le panier à couverts. Bibi était belle comme un pétard qui n’attend plus qu’une allumette. Il lui administra une tape sur les fesses. Bibi se redressa. Elle dit :
– Tu n’as pas le droit de faire ça. Je pourrais te balancer pour machisme avéré.
– Pas après onze ans de mariage !
Bibi sourit. Manu ouvrit le frigo. Il attrapa un snickers dans la contre-porte. Bibi le lui chipa des mains.
– Tu sors ça d’où ?
– Mais c’était dans le frigo.
– Ça ? Dans notre frigo ? Mais qu’est-ce que ça fout dans le frigo ? C’est de la junk food ! »
Médéline croque sur le vif les défauts des présidents des puissances internationales et les caricature jusqu’au cliché, ce qui provoque chez le lecteur un effet jubilatoire.
« – Bien parlé, fils ! On n’a pas construit l’Amérique avec des opportunistes comme les Clinton ! On n’a pas bâti ce pays en fourrant des cigares dans la chatte de nos secrétaires ! O que non !
– Je ne vous le fais pas dire, père. Les bien-pensants vous présentent au monde comme un être illettré et stupide. Mais qui pourrait croire que l’on devient milliardaire et président des Etats-Unis d’Amérique en étant illettré et stupide ? Des êtres si cultivés qu’ils en ont perdu la raison.
– Exactement, fils ! Et puis je vis à Manhattan, bordel. Pour qui ils me prennent. J’aime l’art, moi. Je crois plus en l’art que tous ces putains de branleurs. Je crois même qu’il n’y a plus que ça pour réenchanter ce monde en déliquescence.
– Vous allez loin, père. Et toute cette philosophie n’intéresse pas les Américains. Ils veulent juste Donald Trump. Ils veulent l’Amérique sans gêne, ils veulent que l’on assume d’être le meilleur pays du monde, que nous cessions de nous excuser d’être ce que nous sommes.
– Tu veux dire par là que
Barron coupa Donald Trump :
– Nous avons exterminé les Indiens ? Nous avons importé des Africains pour nos champs de coton ? Nous avons gazé les Viet-Cong ? Nous avons du sang sur les mains ? Nous surveillons le monde entier ? ».
En fin d’ouvrage, Poutine lui non plus n’échappe pas au portrait au vitriol.
« Poutine referma la porte et coupa l’eau de la douche. Il vérifia s’il discernait le bout de ses pieds. Il aperçut son gros orteil. Il appuya sur pause.
– Comment vas-tu, camarade Evguéni ?
- Excellemment bien, Vladimir, mais pourquoi donc m’appeler camarade ?
Goulianov était l’un de ses milliardaires qui lui servait la soupe dès lors qu’il était devenu milliardaire grâce à lui. Il vivait principalement à Toronto et était en quelque sorte son ambassadeur personnel et clandestin en Amérique du Nord.
– Pour te rappeler d’où tu viens et à qui tu le dois, Evguéni. Et je te conseille de me donner du monsieur le président aujourd’hui ».
Ce récit de politique-fiction bien mené est destiné avant tout à libérer le lecteur de l’emprise ou du pouvoir que les hommes politiques pourraient avoir sur sa vie.
Sylvie Ferrando
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