Tryptique du veilleur, Louis Raoul
Triptyque du veilleur, Louis Raoul, Cardère, 2012, 58 pages, 12 €
Ecrivain(s): Louis Raoul Edition: Cardère éditions
Parce que la vie nous pousse de l’avant tout en nous dépouillant, vient ce temps où il nous faut prendre de la hauteur, de cette nécessité-là peut-être est né Triptyque du veilleur. Une tour, une barque et une archère. Non pas un, mais une, selon le choix de l’auteur. Une archère, qui est aussi la flèche envolée, et la cible invisible de l’au-delà.
Il y a donc une tour dans la première partie, intitulée L’approche de la hauteur. Une tour de pierre, de chair et de vent.
« Prisonnier et gardien
Tu n’habites pas la tour
Tu es ses assauts et sa défense
Le poème qui la fonde ».
Mais voilà, « Entrer dans la tour n’est pas tout, il faut se faire accepter de la hauteur ».
Et qui dit tour, dit sentinelle, celle qui veille quand tout le monde dort.
« Les tours fécondent la nuit
Les sentinelles oubliées. »
Il est question de solitude dans ce recueil à l’écriture très concise, dépouillée, polie comme les pierres qui doivent s’ajuster parfaitement pour former une tour et on songe au Désert des Tartares de Buzzati. Au cœur de cette solitude, qui est le lot de chacun d’entre nous dans le voyage de l’existence, l’auteur se raccroche au poème, pierre de fondation, point d’ancrage et nous embarque dans la seconde partie du recueil, la Barque. C’est au lecteur qu’il s’adresse, un autre lui-même.
« Il faut rester là longtemps
Jusqu’à que ce que cette barque qui est vous
Prenne âge de toute part
Et le chant cèdera
Qui vous retenait au monde »
Qui dit barque dit traversée, se détacher des rives, du connu, se préparer à la grande fonte du soi.
« Il reste à mettre de l’ordre
Dans cette débâcle du dire
Vous n’êtes pas encore
De ceux qui signent d’une noyade
Au bas de l’eau ».
Il y a alors récapitulation, souvenance.
« Un portail
Vous attendait
Au bout de l’enfance
Que vous ne saviez pas
Tous ces temps d’orage
À jouer
Quand le ciel perdait ses clés
Sur les toits ».
Et puis,
« Vous entrez dans un autre pays
Une autre saison
La parole se fait maintenant plus lente
Elle peut dire ce bruit de paille
Dans le vent
D’une pluie coupée ».
Et c’est cette barque qui conduit
« Au pied de la tour
Qui est vous
Il vous faut rejoindre la hauteur »
S’ouvre alors la troisième partie du triptyque, l’Archère. Ce terme évoque la tension qui vise un ailleurs plus vaste, « cette nuit je me suis inventé une rupture », qui cherche à percer peut-être un secret, celui qui ne peut nous être dévoilé de ce côté-ci.
« J’ai attendu
Un improbable retour
(…)
Enfermé
Dans l’épaisseur
D’une vitre ».
Il est question de « cette quête du passage », de « rêve de voyage », un appel d’air, on pense à la symbolique du sagittaire, mais il nous faut redescendre de la tour et « Reprendre taille humaine »
« Avec la soif
Qui un des lieux du poème ».
Une solitude que l’auteur désire et ne désire pas, hantée par le manque.
« Je te cherche encore
Sachant l’inutile
J’interroge les rues de tes pas
J’essaie des portes
Dans la chambre-seconde
Où ton souffle habitait ».
L’auteur voudrait sans doute trouver une issue à cet enfermement dans le temps, se libérer des frontières.
« J’aimerais bien partir d’ici
Retrouver l’empreinte d’une crinière
Dans le vent
Un galop d’avant la parole
Il me suffirait pour cela
De siffler
Lascaux
Un cheval y manquerait ».
Il y a beaucoup de noblesse et de fierté dans ce recueil, taillé par un verbe d’artisan, quelque chose d’intemporel justement, l’ombre d’un chevalier qui demeure droit et digne, le regard fixé sur l’horizon et Louis Raoul le ponctue d’un final à la hauteur.
« Puis vient l’heure
D’une lance claire
Et haute
Saison d’orgueil
Et de victoire
Avec le vent
C’est une offrande de feuilles
Au pied de la tour ».
Cathy Garcia
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