Trois saisons à Venise, Matthias Zschokke
Trois saisons à Venise, novembre 2016, trad. allemand Isabelle Rüf, 384 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Matthias Zschokke Edition: Zoe
Matthias Zschokke est invité en 2012 à Venise par une fondation qui met à sa disposition un appartement en plein cœur de Venise. Ce sont trois saisons qu’il va mettre à profit pour « travailler », c’est en tout cas son désir, et l’idée de se retrouver en plein cœur de la Sérénissime ne peut, pense-t-il, que faciliter ce travail, sauf que, une fois sur place, il va partager son bonheur en écrivant des courriels à son frère, à sa tante, à son éditeur et à certains de ses amis et à des relations professionnelles.
Dans les réponses qu’il adresse à « l’ami de Cologne », il décrit un quotidien ordinaire à Venise : « Sous mes fenêtres glissent des gondoles, des bateaux-cargos avec des pianos, de temps en temps des pompiers, des ambulances, des bateaux-taxis, avec au fond un Dottore ou un Onorevole, qui rentre chez lui ou va au théâtre… ». On imagine sans peine ce que le lecteur à Cologne peut ressentir à la lecture de ce courriel.
Et l’auteur découvre progressivement les charmes de la ville quand on y vit, quand on doit se déplacer, y faire des courses, quand on décide de ne rien manquer de ce qui ne peut-être qu’intéressant et quand les moyens de transport sont « limités » au bateau, ici le vaporetto, et à la marche. Un quotidien différent qui permet d’apprivoiser ce musée à ciel ouvert, mais aussi où l’on peut déambuler sans pour autant avoir le sentiment de déplacements inutiles. C’est bien connu, et l’auteur n’y échappe pas, à chaque coin de rue ou presque, une surprise vous attend, une façade surprenante, une église qui ne l’est pas moins, une piazzetta étonnante et charmante. Ainsi écrit-il à son éditeur : « si tu aimes te balader sans but, Venise est une ville idéale. Ici, on ne peut se déplacer qu’à pied ou en bateau. Se donner un but n’a pas de sens ; on se perd inéluctablement. Comme on ne peut pas être saturé de toute cette splendeur, on se balade jusqu’à ce que vos jambes se dérobent ». Et plus loin, comme pour mieux appâter son lecteur, ou l’assurer que ce qu’il écrit correspond bien à ce que l’on dit de Venise : « Ce qui est étonnant : on n’a jamais peur de rater quelque chose. On est toujours comblé par ce que l’on voit sur le moment. Et si une fois ça n’arrive pas, alors au plus tard vingt mètres plus loin, au coin de la rue ».
On comprend alors pourquoi Matthias Zschokke écrit encore : « Venise est une drogue dure et vous rend très vite dépendant ». En revanche il confirme que la beauté du lieu l’empêche une écriture autre que relative à la ville ou à ce qu’inspire la ville. Ainsi à sa tante de Palerme dit-il sa difficulté, voire son impossibilité à écrire quand il lui confie « qu’il y a longtemps que plus rien ne vient », que le livre envisageable n’aurait aucun intérêt, « et c’est pourquoi Venise est la ville qu’il me faut : cette ville, à chaque millimètre, il lui vient quelque chose à l’esprit. Incroyable comme tout est à portée de main, comme tout est riche, bariolé, prodigue. Si j’avais autant d’imagination que Venise, mes livres seraient de somptueuses pochette-surprise et des best-sellers mondiaux ». Venise est donc une drogue dure. Et on comprend mieux sa conclusion quand, rentré à Berlin, il admet que « Venise n’était pas la vraie vie… Venise était un conte de fées. I (sa compagne) et moi avons vécu dans une cage dorée et nous n’avions qu’à entonner tous les jours un air joyeux en duo ».
Guy Donikian
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