Trois poèmes, par Charles Orlac
Capitale du gris
Il est des capitales de la couleur
Et puis Paris
Souterraine capitale du gris
Ombre pour ceux qui ne furent que l’ombre
Là-haut en surface l’hiver, le bruit
Et puis la bouche du métro
Accueillante à s’endormir
Glissante à en mourir
Faïence froide de l’oubli
……
Il ne s’agit pas de fuir
Quand on a franchi les maisons renversées
les longs silences des ruines,
les rues désertes encombrées de fantômes
de gravats de cadavres
on arrive aux bambous géants du fleuve,
large et tranquille,
à la rive où le matin chaussé d’espadrilles,
vient dans le bruissement de l’air et de l’eau
oublier les horreurs de la veille.
Il ne s’agit pas de fuir ce qui est
également laid :
la misère d’une terre qui craque au soleil,
la liberté au fond des cachots, enchaînée.
Il s’agit de retrouver la force de vivre,
se détacher de la rive
telle une embarcation fantôme qui rend
à nouveau le rêve possible.
……
Invisibles musiciens
Au-dessus du fleuve silencieux
Un panache de sons colorés.
La musique sur la toile
Dans l’azur la couleur en lamelles.
Arc-en-ciel peut-être ou possible illusion
Carillon frêle d’une voix
Sur la portée courbe du temps.
Invisible musicien
Le peintre sur sa toile
Qui peint la musique
Et la donne à entendre, muette,
Comme un sourd l’entend
Dans les mouvements de la danse.
Et parce qu’il doit peindre
Mouvements, durées, tonalités
Sa peinture est devenue dessin.
Mais celui dont le trait jamais
Sur lui-même, ne se referme.
Qui laisse apparaître
Dans ce qui reste d’hésitation
Mouvements, durées, tonalités,
Présence projetée au bord du visible
Et qui continue d’apparaître,
Même l’œuvre achevée.
……
J’aime les mots comme un marmot sa maman
Qui sait, sans elle, ne pouvoir grandir.
Les mots de marbre sur les stèles des statues
Les mots de pluie l’hiver sur les toits
Le vent qui pleure dans la chevelure des saules
Les mots engloutis qui n’ont que le sanglot
Pour rejaillir en fusion, désarticulés
Des mots libérés de toute censure
……
Charles Orlac
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