Trois jours et une vie, Pierre Lemaître
Trois jours et une vie, mars 2016, 288 pages, 19,80 €
Ecrivain(s): Pierre Lemaitre Edition: Albin Michel
Quand ça part en vrille
Avant la couverture pleine de feuillages et de mystères, c’est un très élogieux portrait paru dans le Magazine littéraire qui m’a donné envie de découvrir Pierre Lemaître. J’ai donc lu son dernier roman, Trois jours et une vie, et je suis un peu déçue.
Pas au point de le jeter rageusement contre un mur ou de le déchiqueter à pleines dents, car c’est tout de même un solide page-turner qui colle aux mains, s’agrippe aux vêtements et te pourchasse jusque dans les toilettes si tu n’y prends garde. J’ai même dû me réveiller à deux heures du matin pour faire taire ce compagnon impérieux et intrusif qui, entre deux rêves, me sommait de l’achever, ce qui fut fait en moins de vingt-quatre heures. Ouf.
C’est peut-être ça qui me laisse sur ma faim. Je m’attendais à une lecture ample, à une randonnée, à m’user les muscles et à me délasser les yeux, à arpenter longuement les âmes et les forêts, et je me retrouve à presser le pas pour connaître fissa le dénouement de l’intrigue et enfin passer à autre chose.
Sitôt arrivée dans cette bourgade un peu trop calme, sitôt entrée dans cette maison qui sent l’encaustique, où cohabitent la rigidité d’une mère célibataire et les frustrations d’un gamin de douze ans, Lemaître m’a attrapé la main comme une enfant traînarde pour me faire faire son parcours au pas de course : La disparition qui pétrifie la ville, les éléments qui se déchaînent, une courte halte, ça et là, dans la peau d’hommes et de femmes aux prises avec ce déferlement de tragédies, quelques souffles coupés, quelques ruminations sur la vie et la mort, puis la fin, boiteuse, hâtive, un peu déconcertante, à mille lieues de la minutie et de la finesse du début.
Ce que j’ai aimé : L’écriture ciselée, mesurée, soupesée, sans lyrisme inutile. Une écriture qui n’a pas besoin de se draper dans de somptueux artifices, une écriture juste et subtile, comme du bel artisanat. J’aime quand l’auteur n’en fait pas des tonnes, ça prouve qu’il a du respect pour moi. L’esbroufe, c’est pour les mignonnettes de vingt ans, pas pour les trentenaires désenchantées.
J’ai aussi aimé me demander ce qu’il advient des humains le jour où tout bascule, comment je vivrais l’arrêt soudain de ma petite musique quotidienne et l’avènement d’une effrayante cacophonie, l’anéantissement de cet assemblage méticuleux et frêle qu’est ma vie.
Ce que j’ai détesté : Les personnages féminins caricaturaux. Celui de la belle provinciale, sorte de Bovary sans relief, blonde et réjouie, qui n’a même pas la décence de s’ennuyer, débite les gosses et les expressions toutes faites, m’a insupportée. Tout comme la parisienne brune et élancée, pleine d’esprit et de mordant, voyageuse dans l’âme, qui ne veut surtout pas entendre parler d’enfants.
S’il vous plaît, messieurs les écrivains, arrêtez de produire des personnages féminins aussi ridicules et étriqués. Arrêtez les blondes bébêtes, arrêtez les intellos à lunettes incroyables au pieu. Vos lectrices valent mieux que ça. Les femmes sont des sujets aussi subtils et passionnants à décrire que leurs mâles congénères. Nous sommes des femmes, pas des poupées de supermarché ! À bon entendeur, salut.
Sana Guessous
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