Trois jours chez ma tante, Yves Ravey
Trois jours chez ma tante, septembre 2017, 190 pages, 15 €
Ecrivain(s): Yves Ravey Edition: Les éditions de Minuit
L’œuvre au noir
Il est de vieilles tantes coriaces. Le héros d’Yves Ravey est bien placé pour le savoir. Il est vrai que lui-même n’est pas un ange. Sinon du genre noir. Mais la première reste sur ses gardes : à l’approche de sa fin et au moment de signer le chèque et de le remettre à son neveu, elle se demande encore s’il ne serait pas plus simple « de le mettre directement à l’ordre de la mission humanitaire responsable de l’école » plutôt qu’au nom de son parent. Celui-ci lui rappelle à bon escient que « le mieux c’est quand c’est personnel ». Mais pas question de dévoiler la fin.
Il s’agit plutôt de remonter l’histoire de Marcello Martini qui, après vingt ans d’absence, est convoqué par sa tante. Occasion pour elle d’annuler son virement mensuel et le déshériter. L’humiliation, on s’en doute, ne serait pas que morale. Mais Ravey – et comme toujours – s’amuse au dépend de ses personnages. Et plus particulièrement de celui qui tente de détourner son destin promis par l’assèchement financier. Même un budget serré ne sauverait pas la vie du sombre héros : il ne serait que plongé un peu plus dans un abîme de doute et de ratages.
Si bien que – eu égard à la décision de l’ancêtre – ce qu’il est coutume de nommer le réel va se remplir de sortilèges et de leurres grâce à une écriture aussi directe qu’insidieuse. Elle trace la coulée d’un fleuve qui enfle et entretient tout le livre dans un sentiment d’insécurité. Entre les êtres, les ponts sont souvent coupés. Sismographe de cette fragilité, l’auteur montre combien de lignes de conduite rationnelles ou désirées se brisent sous l’effet d’une onde perverse qui ronge Martini comme les autres en des jeux de rôle plus ou moins volontaristes.
Ravey poursuit pendant ces trois journées l’orchestration des tensions qui habitent ses personnages au sein de l’huis clos que subissent des personnages en souffrance, incapables d’aimer car incapables de s’aimer. Même s’ils ont envie de voir la vie grouiller de sensations et de sensualités plus ou moins larvées, l’enfer reste les autres et la voix du cœur est souvent obstruée – de gré ou de force.
Il y a en effet chez ces personnages plein de failles, de mal-être et de non-dits. Ravey est en ce sens digne héritier de Beckett et de Sarraute. Il sait faire entrer par la langue dans les méandres de la conscience mais de manière comportementale. Sa langue se situe comme en deçà du langage, et ce, par deux stratégies majeures : la froideur des narrations et la manière d’entrer dans le flux de pensée des personnages. Le tout en une suite de successions de spirales semblables à celles de la signature de la fameuse tantine avare en tontine et qui n’est pas de celles qui signent des chèques avec tant de zéros avec un simple stylo à bille.
Jean-Paul Gavard-Perret
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