Tribus, Nouvelles, Shmuel T. Meyer (par Philippe Chauché)
Tribus, Nouvelles, Shmuel T. Meyer, Gallimard, Coll. Blanche, avril 2024, 176 pages, 19 €
Edition: Gallimard
« Jérusalem se réveillait de sa narcolepsie sabbatique, la bouche pâteuse, l’haleine chargée, avec ce vague à l’âme qui enfle à l’approche d’une semaine nouvelle, du labeur, de la routine. Ce vague à l’âme qui envahit les collines, les oliveraies, les rues désertes du centre-ville » (Tribus, Les héritiers).
Israël est au cœur de ce livre de nouvelles, Israël et les mille pierres qui la composent, des pierres qui parfois s’entrechoquent et les étincelles qui en surgissent nourrissent le regard affuté de l’écrivain, et évidemment son imaginaire. Ils sont libéraux, ultraorthodoxes, ils vivent dans des kibboutz, aux portes de Jérusalem, ne pensent qu’à prier et à dénigrer, rêvent de la naissance de leur nation, qui pour certains à leur âge, ils sont sionistes, et n’aiment guère les messianiques, l’inverse saute aussi aux yeux. Ces Tribus, ces nouvelles tribus d’Israël, sont un paysage humain dont la géographie dessine un État qui, dans sa constitution, n’a pas cent ans, mais qui dans l’Histoire de son et de ses tribus a plus de trois mille ans.
Ce livre de Nouvelles est ainsi empreint de vague à l’âme, de nostalgie, la même qui par instants traversait son précédent livre, Et la guerre est finie… (1), nostalgie d’un sionisme premier, fondateur, fédérateur, socialiste, que certains personnages de ce roman de Nouvelles semblent vouloir sacrifier au nom de leurs valeurs religieuses d’acier et de marbre. Leurs noms, et leurs histoires rythment ce livre de Nouvelles, comme des éclats de vie, qui surprennent, parfois agacent, font sourire, et nous livrent ainsi un portrait de ces tribus qui font aujourd’hui Israël.
« Reb Pin’has avait ôté son kolpit, sa coiffe de vison sabbatique, et son crâne chauve s’était dévoilé un instant avant qu’une large kippa de soie noire un peu pointue vienne le cacher. Sa barbe blanche et fournie était prétexte à des caresses incessantes de sa main grassouillette, caresses qui accompagnaient lecture, étude, interrogations et écoute attentive et silencieuse des voix célestes des ancêtres et des anges » (Tribus, Beït Altsschuler).
Ces Nouvelles sont datées, c’est essentiel les dates, ici comme en Israël, dans la vie, dans les romans, comme dans les Nouvelles, achevées, écrit l’auteur le 27 juin 2023, avant la date fatidique, avant l’horreur terroriste absolue qui a frappé Israël : le 7 octobre 2023. Shmuel T. Meyer y consacre l’épilogue de son livre. Rafi, que nous avions rencontré dans la Nouvelle d’ouverture de ce livre, se remet d’un cancer, et raconte une histoire à son infirmier très en colère, après les crimes terroristes du 7 octobre, et il l’invite quand il prendra les armes pour combattre ceux qu’il qualifie de Cosaques de l’Islam, à ne pas oublier les promesses d’Israël : Celle d’être une démocratie éclairée, généreuse, mais aussi celle d’être le seul endroit au monde où les juifs seraient en sécurité. Shmuel T. Meyer est en colère, c’est un styliste en colère, ses portraits sont admirables, ses dialogues tout autant. Il prouve que l’art du roman c’est aussi celui de dévoiler, ce qui aux yeux de l’auteur fragilise son pays, ses personnages ne sont pas des fantômes, ni des ombres, mais de vrais personnages, habités, parfois possédés, aux idées tranchantes, l’auteur en saisit les douleurs, les doutes, et les colères. C’est vif et net, coupant et passionnant. Et c’est bien la passion qui anime ces Tribus, et celle que porte l’admirable style de l’auteur.
Philippe Chauché
Shmuel T. Meyer est notamment l’auteur de : Un nouvel an de pierres ; Impasse de la Providence suivi de Jours de fête ; Les villes n’ont pas de toit (Gallimard) ; Et la guerre est finie… (Métropolis) ; Entre-Soleils, en collaboration avec l’artiste Michel Kirch (Editions du Renard Pâle).
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