Traité des gestes, Charles Dantzig
Traité des gestes, octobre 2017, 416 pages, 22 €
Ecrivain(s): Charles Dantzig Edition: Grasset
L’encyclopédie de nos gestes
Quand on y pense sommairement, on se dit que nos gestes expriment notre banale apparence, notre surface corporelle si superficielle, bref ce à quoi on ne prête guère d’attention, ou si peu. En revanche, avec le dernier livre de Charles Dantzig, Traité des gestes, on découvre toute la richesse, la diversité et la profondeur humaine de nos gestes. On se laisse guider en suivant l’auteur dans cette sorte d’encyclopédie raisonnée ou de dictionnaire imaginatif où il y a du romanesque, de la poésie et du journal intime. De quoi laisser songeur et ébahi parfois !
On y apprend tout d’abord la prééminence des mains, celles avec lesquelles on applaudit, on mange, on caresse, on écrit, on fabrique… Sans la main, « l’esprit ne se manifesterait pas » écrit Dantzig. Mais aussi, l’auteur de parcourir tous ces gestes du corps si parlants et si expressifs, ceux de la bouche, du front, des yeux, des sourcils, des hanches… Un aphorisme de Pascal mis en exergue de l’ouvrage ouvre tout ce champ des possibles : « Qu’on s’imagine un corps plein de membres pensants ». Le livre décline et analyse tous ces « membres pensants » du comédien au lecteur, en passant par le serveur de restaurant. Si le corps connaît une géographie, nos gestes relèvent de la sismographie dont l’auteur avec saveur étudie les multiples chapitres.
Nos gestes sont des signes. Que nous disent-ils ? Qu’ont-ils de si mystérieux et de si particulier ? Qu’en est-il de leur esthétisation, des codes qui les régissent ou de la comédie qui les anime ? En herméneute, Charles Dantzig déchiffre et fouille leurs sens avec des mots justes. Il nous invite à toutes sortes d’observations devant la variété des gestes, à les admirer, à rêver devant eux, à en rire parfois.
On retrouve dans ce livre le goût de Charles Dantzig pour le propos encyclopédique. On se souvient de son Dictionnaire égoïste de la littérature française (2005) et L’encyclopédie capricieuse du tout et du rien (2009). Dans ce compendium dont nous reconnaissons l’extrême richesse et fantaisie, l’auteur nourrit son texte parfois d’illustrations adéquates (Egon Schiele, par exemple, Autoportrait aux mains sur la poitrine).
Voici deux courts extraits. Le premier admirable à propos des gestes des bébés :
« Les mains et les pieds des bébés se déploient comme des fleurs, lentement puis avec de brusques saccades, comme si le geste voulait sortir d’eux. Les bébés semblent encore sous l’eau, dans le liquide amniotique d’où ils sont à peine issus et dont ils ont gardé le souvenir, disons les habitudes. Jusqu’à ce qu’ils marchent, leurs gestes sont aquatiques. Ils se déploient lentement, souplement. Où ai-je donc lu la géniale comparaison des mains de bébés avec les étoiles de mer ? » (p.115).
Et à propos du chef d’orchestre :
« Le chef d’orchestre berce, tricote, pique, embroche, lisse, coud, émince, remue, triture, époussette, égoutte, soulève, enroule, brasse, pêche, fustige, hache, pointe, peint » (p.152).
On ressort vraiment l’esprit léger et lucide de ce livre réjouissant, dont il faut se méfier du titre pompeux, choisi certainement pour nous tromper. Ou peut-être pas ? En effet, au fur et à mesure que l’on avance dans ce livre fouillé, Charles Dantzig nous fait comprendre la profondeur quasi ontologique de nos gestes. Il y a en eux de l’universel ; ils relèvent de l’être en sa légèreté. Un geste peut à lui seul condenser une vie accomplie. Avec ce livre, nous sommes certains d’avoir approché quelque chose d’essentiel et de lumineux, d’humain et d’étrangement énigmatique qui nous concerne tous.
Charles Duttine
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