Tous les hommes désirent naturellement savoir, Nina Bouraoui (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)
Tous les hommes désirent naturellement savoir, août 2018, 264 pages, 19 €
Ecrivain(s): Nina Bouraoui Edition: Jean-Claude Lattès
Ce livre est une douceur poétique mêlée à la violence du désir. Dans les allers retours incessants d’une Algérie à la beauté sauvage et insaisissable et d’un Paris nocturne qui permet de consoler le désir frustré du jour, l’auteure nous raconte comment son enfance a façonné les pérégrinations de sa jeunesse. Le style de Nina Bouraoui est si sincère et vif qu’il en devient dérangeant. Elle dépeint avec précision ses angoisses et ses désirs, ses fantasmes tant refoulés qu’elle n’assume pas et qu’elle rejette honteusement dans la boîte de nuit de la rue du Vieux Colombier, le Kat. On vit son impasse, son attachement fusionnel à sa mère, sa sœur, son Algérie indomptable. Ses désirs hors norme sont vécus comme autant d’attentats à son corps.
C’est dans l’Algérie où elle a vécu jusqu’à son adolescence, en 1981, qu’elle pense pouvoir retrouver les morceaux de sa personnalité amoureuse. Sa vraie nature, comparable à la végétation algérienne, est dense et hors du temps. « Les amandiers en fleurs, les brassées de mimosas, les criques de Cherchell, les massifs de l’Atlas, les vagues de dunes sur la route de Timimoune, la beauté dense, insaisissable, éternelle de là-bas ».
L’Algérie de l’auteure rappelle celle d’Albert Camus dans les Noces, « la mer au tournant de chaque rue, un certain poids de soleil, la beauté de la race », « cette impudeur et cette offrande » où se cache un parfum secret. La beauté silencieuse et égarée de ce pays est la flamme intérieure de l’auteure : « C’est cela ma religion : le vent dans les feuilles, la couleur des arbres qui change, l’écume sur les sables, le soleil qui disparaît ». « J’y puise de la force et un élixir d’éternité ».
Son Algérie est belle, mais l’image de sa mère agressée, rentrant un soir sanguinolente à la maison, la marquera à jamais, au plus profond de sa chair. Cette brutalité, ces non-dits persistants, ces éclats de sang, sont des taches qui floutent l’étrange beauté de son enfance… qui salissent les taches de rousseur poétiques de la femme du docteur G. (assassiné), qu’elle imaginait comme des « impacts de baisers donnés ».
« Mon Algérie est poétique, hors réalité. Je n’ai jamais pu écrire sur les massacres. Je ne m’en donne pas le droit, moi, la fille de la française ».
Dans ses fugues perpétuelles dans la nuit parisienne, Nina Bouraoui reste fidèle à cet élixir de beauté. Elle n’oublie rien. Même dans les arbres du jardin du Luxembourg, elle y retrouve la fureur et la poésie de son enfance. « J’implore les arbres, les statues, les fontaines, je crois en la puissance de la beauté qui veille sur moi ».
La nuit aide Nina à apprivoiser le désir qu’elle éprouve pour les femmes et qui l’effraie tant. C’est comme « Les chants des djinns, l’oued sec », un air lancinant et envoûtant qu’elle réfrène. Apprendre à accepter ses désirs est une longue initiation, que seule la nuit permet d’accompagner. La nuit est comparable à la forêt de son enfance, les trésors y sont infinis. Mais, on s’y perd rapidement et les labyrinthes du désir y sont si sinueux, que l’on y consume son temps. La nuit utilise des artifices hypocrites pour que l’on s’attache à elle. « On se prépare, en buvant, à l’attente, à la fausse joie, à la folie de la nuit, à la brutalité du jour » qui nous fera dire « on s’est menti, rentrons chez nous ». Mais les joies factices des boîtes de nuit ont aidé l’auteure à se construire, à s’accepter, en se frottant aux névroses des autres. « Je n’ai pas perdu ma jeunesse, je viens d’elle et elle m’annonçait ». Les errances de jeunesse sont souvent un mal nécessaire pour accepter les désirs inassouvis de l’enfance, quelle que soit leur impudeur.
En fermant ce livre, on reste hanté par le parfum du déracinement, un amour silencieux et lointain que la vie ne pourra jamais ramener.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
VL2
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