Tous les hommes de ce village sont des menteurs, Megan K. Stack
Tous les hommes de ce village sont des menteurs, traduit Martial Lavacourt, Éd. rue Fromentin, janvier 2013, 412 p. 20 €
Ecrivain(s): Megan K. Stack
Ce livre dont le titre évocateur fait référence à une parabole, « S’il dit la vérité, alors il ment. S’il ment, alors il dit la vérité », est un livre dont il est difficile de parler tellement il remue en nous nombre de questionnements et d’émotions. On s’y enfonce, au fur et à mesure de la lecture, avec une sensation de poids grandissante, sans doute de la même façon que l’auteur a vécu toutes ces expériences, ces rencontres, en tant que reporter de guerre, comme on dit.
Et il s’agit bien de ça, effectivement, mais comment rapporter ainsi des évènements aussi brutaux sans s’y retrouver totalement impliqué, chamboulé, transformé pour toujours ? C’est impossible, et pourtant il y a une nécessité de rapporter l’irracontable, de raconter pour celles et ceux qui n’ont pas ou plus de voix, voire de vie.
Tout commence après le 11 septembre 2011, la jeune journaliste, âgée alors 25 ans, est envoyée par le L.A. Times en Afghanistan, alors qu’elle n’a jamais jusque-là couvert de conflit. De conflit, c’est-à-dire LA guerre, toujours la même finalement, quels que soient les partis, les pays, les groupes, les confessions impliquées, quels que soient les prétextes invoqués. Il n’y a qu’UNE guerre, insupportable de violence, d’arbitraire, de mensonges, d’enfances massacrées, de lieux dévastés, de drames qui entraînent d’autres drames. Un enfer, LA guerre, qui commence bien avant et finit bien après – si jamais elle finit – qu’elle ne prenne son nom. Des balles, des bombes, des blessés mutilés à vie, des cadavres, du meurtre et du sang, la peur, la faim, la destruction, la folie, la suppression quasi totale de tout rêve… et comment un semblant de vie, de normalité peut se frayer un chemin à travers les décombres.
Cette première expérience en Afghanistan sera comme définitive pour Megan K. Stack, jamais plus elle ne pourra retourner en arrière. Il lui sera impossible de rester aux États-Unis, alors comme elle ne peut oublier, elle va accepter toutes les missions, aller de l’avant, parcourir toute cette « région du monde » comme on désigne souvent le Moyen-Orient. Elle va chercher les clés, accumuler les témoignages avec une espèce d’avidité insatiable, que la peur ne fera qu’attiser. Elle portera son métier de journaliste en bouclier, jusqu’à s’oublier elle-même totalement, comme si cela pouvait peut-être apporter une réponse à ce qui n’a aucun sens et ne peut en avoir. C’est comme ça qu’après l’Afghanistan, il y aura Israël et la Palestine, puis l’Irak, la Lybie, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, le Yémen, le Liban, l’Égypte, l’Irak encore et de nouveau le Liban en 2006, sous les bombes israéliennes…
C’est un témoignage passionnant, unique, très personnel, celui d’une journaliste et femme de surcroît, dans un monde déjà difficile d’accès en tant que telle, et elle est allée au plus près des gens, au cœur des conflits comme on dit dans le jargon, si seulement une guerre pouvait avoir un cœur. Une quête, que son statut d’américaine a rendue sans doute encore plus essentielle, elle va au-delà des apparences, des discours officiels, des vérités établies, des partis pris ou à prendre et elle y va avec son professionnalisme, mais aussi et peut-être surtout, avec amour.
Ce n’est pas un roman qui se lit avec plaisir, même si la qualité d’écriture de Megan K. Stack, bien rendue par son traducteur, donne à ce récit la puissance d’une véritable œuvre littéraire, mais outre qu’on apprend beaucoup en le lisant sur des situations extrêmement complexes, on se doit de lire ce livre parce que, faisant partie de la communauté humaine, chaque bombe qui tombe quelque part sur cette planète nous concerne, qu’on le veuille ou non, parce que nul ne peut ignorer la souffrance de l’autre, qui a plus de choses en commun avec lui que de différences, à savoir : le désir d’une vie paisible et heureuse, la possibilité de rêver et d’offrir un avenir à ses enfants. C’est pour cela que certain(e)s font des métiers qui, au péril de leur vie, leur permettent d’aller chercher la parole, les images et de les transmettre afin qu’elles circulent, et que l’horreur ne puisse être indéfiniment camouflée, étouffée sous le vacarme de spots publicitaires et autres diversions, là où la guerre ne frappe pas, là où on n’imagine même pas qu’elle puisse exister pour de vrai. Et quand la guerre frappe, c’est toujours aveuglément, il n’y a pas et il ne peut y avoir de guerre juste et il ne peut y avoir non plus de retour en arrière. « Ce fut la première chose que j’ai appris de la guerre. Vous vous souvenez ? Vous pouvez survivre et ne pas survivre, les deux à la fois ».
Cathy Garcia
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