Touaregs L’exil pour patrie, Intagrist el Ansari (par Patryck Froissart)
Touaregs L’exil pour patrie, Editions Alfabarre, 2018, 200 pages, 25 €
Ecrivain(s): Intagrist el Ansari
Auteur de l’itinéraire poétique Echo saharien L’inconsolable nostalgie, Intagrist el Ansari est aussi journaliste et historien. C’est à ce titre qu’il a compilé sous le titre Touaregs L’exil pour patrie une sélection d’articles de presse et d’analyses géopolitiques et sociologiques qu’il a publiés dans divers magazines sur la situation de belligérance perpétuelle dans laquelle vivent les diverses populations du Sahel, et particulièrement les Touaregs du nord du Mali, depuis 2012. Cette somme est à la fois un ouvrage pédagogique et l’expression d’une révolte. Ouvrage pédagogique efficace par la redondance et la précision des éléments factuels de texte en texte et par la possibilité offerte au lecteur de suivre quasiment de mois en mois l’évolution des événements contemporains dans cette partie agitée du monde sahélien.
Ouvrage pédagogique nécessaire à qui veut tenter de démêler l’écheveau a priori inextricable des groupes armés et des forces politiques locales et externes impliqués dans l’histoire récente de ce vaste espace quasi-désertique englobant la moitié nord du Mali et les régions périphériques.
Ouvrage pédagogique indispensable pour comprendre le jeu tactique perpétuellement mouvant et trouble des alliances, des mésalliances, des désalliances, des réalliances militaires, des trahisons politiques, des défections, des regroupements stratégiques entre différentes tribus touarègues d’une part, entre certaines de ces tribus et des factions djihadistes, entre ces groupes djihadistes eux-mêmes…
Ouvrage pédagogique décisif pour appréhender les relations des uns et des autres d’une part avec les gouvernements centraux officiels du Mali, de l’Algérie, de la Lybie en plein chaos, de la Mauritanie, autonomistes, indépendantistes du MNLA (1), loyalistes ou ralliés, d’autre part avec la France, ex-puissance coloniale qui n’en finit pas de décoloniser, et ses troupes déployées dans le cadre de l’opération Serval puis dans celui de l’opération Berkhane à la demande du pouvoir malien pour stopper l’avancée fulgurante sur Bamako des islamistes d’Aqmi (2), d’Ançar Dine et du Mujao au début de l’année 2012.
Expression d’une révolte, celle d’Intagrist el Ansari en personne, Touareg né à Tombouctou, membre de la grande tribu des Kel Ansar dont le territoire est le théâtre central de ces mouvements alternatifs prenant en étau et en otage la population civile de la région.
Expression d’une révolte naturelle puisque l’auteur subit un exil forcé en Mauritanie, comme plusieurs centaines de milliers de Touaregs originaires de la zone de guerre civile déplacés depuis des années dans des camps de réfugiés au sud de la Mauritanie, en Algérie, au Niger et au Burkina Faso.
Expression d’une révolte douloureuse puisque ces exils récents font suite à des exodes successifs depuis plusieurs décennies, avec, dans le même temps, un nombre effarant de victimes (estimé à hauteur de 120.000 à 150.000 civils tués).
Expression d’une révolte légitime que le lecteur est amené à partager à la lecture des récits des réfugiés ayant échappé depuis 2012 à l’oppression, aux exactions et crimes perpétrés par l’application de la charia, aux exécutions sommaires et aux massacres commis à l’occasion de chacune des opérations de « libération » réussies à tour de rôle par les factions ennemies traquant dès leur arrivée ou dès leur retour sur zone ceux et celles ayant « collaboré » avec l’occupant précédent puis par des éléments revanchards de l’armée nationale malienne lors de la reconquête menée avec l’appui des troupes françaises bientôt renforcées par celles de la MINUSMA (3).
Expression d’une révolte, et d’un désespoir qui refuse, malgré la tragédie que vit le peuple touareg du Nord-Mali de génération en génération depuis l’époque coloniale, d’être définitif puisque le dernier chapitre s’intitule « L’espoir malgré tout ».
« Comment se relève-t-on quand on est brisé par la colonisation et ébranlé par les sécheresses, les rebellions, les exactions et l’incessant exil ? L’assombrissement des horizons ne permet pas, hélas, de voir les voies de sortie de sitôt.
Cependant un peuple qui subit les affres de l’extermination, quand la menace de l’extinction plane, est toujours capable d’un sursaut et d’une résurrection, parfois là où on ne l’attend pas… ».
Et le poète qu’est, aussi, Intagrist el Ansari comme le sont tous les hommes et toutes les femmes touarègues, conclut son œuvre de pédagogie, son témoignage, son analyse, ses réactions, sa révolte par un long poème, un hymne émouvant à la riche et indélébile culture millénaire de son peuple qui n’a plus, depuis des lustres, que « l’exil pour patrie ».
Je suis le tambourin résonnant dans les tréfonds de vos cœurs
Transe et vibrations séculaires de jadis à l’immuable
Respect !
Patryck Froissart
(1) Mouvement National de Libération de l’Azawad, dont les éléments armés, ex-militaires maliens de l’armée libyenne, sont rentrés au Mali après la chute de Kadhafi
(2) Al-Qaïda au Maghreb Islamique
(3) MINUSMA : Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali
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