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Torn curtain (Le rideau déchiré), Alfred Hitchcock

Ecrit par Yasmina Mahdi 10.09.12 dans La Une CED, Les Dossiers, Côté écrans

côté écrans

Torn curtain (Le rideau déchiré), Alfred Hitchcock

Le rideau de fer :

Après La Mort aux trousses (North by Northwest), en 1959, Alfred Hitchcock surenchérit avec un autre film d’espionnage, Le Rideau déchiré (Torn Curtain) en 1966. C’est la poursuite du genre, le suspense, en tant que tel, mais d’une facture peut-être plus artistique – détails sophistiqués, camaïeux de couleurs, soins apportés aux costumes, aux accessoires… C’est une œuvre sans doute moins connue, moins adoptée par le public et les cinéphiles comme référence absolue. Le titre, énigmatique aujourd’hui, est sûrement perceptible pour les spectateurs des années 60, renvoyant à la séparation Est/Ouest, à la guerre froide et à une terreur historique.

Les glissements de scénario, les changements d’attitudes, de lieux, les brusques revirements affectifs, les faux-semblants amicaux sont à la fois plus tranchés, plus radicaux et plus troubles. Par exemple, entre l’espion américain passé à l’Est, le professeur Armstrong (incarné par le beau Paul Newman, un symbole masculin américain fort), et le garde du corps passé à l’Ouest, Gromek, (joué par Wolfgang Kieling), ayant séjourné dans un lieu précis des Etats-Unis qui cite avec nostalgie des souvenirs culinaires, campe un décor, tout un lien de connivences se tisse. Ces échanges humains scandent le parcours des deux hommes, de l’étroite surveillance diplomatique jusqu’au crime le plus odieux.

Effacer les traces :

Il s’agit ainsi de falsifier, de marquer son territoire, d’émettre des signes subrepticement, des traces autour de la fameuse lettre « pi », dont on ne sait si elle est le surnom d’un agent, une formule incantatoire, un secret de ralliement. Comme le R.O.T. de Kaplan/Thornhill de La Mort aux trousses, l’agent secret se révèle à son organisation et aux spectateurs par cette trace toute simple, faite avec le pied sur la terre sableuse du sol de la ferme, pi – « periphereia, nombre incommensurable, irrationnel », qui se rapporte au rapport constant de la circonférence d’un cercle à son diamètre. Qui est en même temps un nombre approximatif, comme les calculs du savant allemand un peu naïf (joué par Ludwig Donath), qui dévoile sa combinaison de données mathématiques au perfide espion américain. Qui livre au monde une formule capable de détruire l’univers en proie à la menace atomique.

Les doubles jeux :

Le publicitaire très chic R.O. Thornhill de La Mort aux trousses comme le professeur d’université Armstrong bien sous tous rapports, sont tous deux pris en étau dans une histoire insoluble, une intrique politique, une fiction-transfuge. Plus rien n’est fiable, les identités sont falsifiées, les mensonges faussent les pistes, les innocents se transforment en monstres criminels –la paysanne allemande (Carolyn Conwell) achève l’agent du KGB dans le four à gaz, métaphore insupportable.

Avant cette mort atroce, l’allemand de l’Est, H. Gromek, mâchait du chewing-gum, le ralliement ludique des américains, leur passe-temps, le signe de reconnaissance populaire, face au scientifique, Paul Newman, campé d’un seul trait, peu disert, maladroit, dissimulateur.

Donc, au royaume d’Hitchcock, rien n’est tranché comme tenant de la vérité, chacun détient un peu de son bon droit ; mérite d’être compris, et filmé.

L’homme double, la femme unique :

Julie Andrews, blonde et célèbre, se glisse dans la peau d’un docteur, Sarah Louise Sherman, également fiancée du chercheur en physique nucléaire. Elle possède les deux atouts majeurs : l’intelligence intellectuelle et la souplesse d’une femme amoureuse. Tout paraît normal, la collaboration heureuse, quand Armstrong rompt sans raison apparente. Sarah, curieuse (et offusquée), le suit à Berlin-Est. Devant les réactions ambivalentes de Newman, que Sarah prend pour un agent vendu à l’Est, sa muflerie et son comportement versatile, l’américaine demeure imperturbable, sûre de son bon droit. L’Amérique est le seul continent démocratique et juste, le trahir est impossible. Sarah campe la seule femme dont on sait d’emblée ce qu’elle pense, ce pour quoi elle agit et quelles sont ses convictions patriotiques ; même lorsqu’elle porte le foulard à la soviétique, telle une kolkhozienne.

Elle ne sera jamais tentée, et aucun doute ne planera sur la femme unique, la future compagne, épouse, vierge de tout soupçon. Qui va ramener le célibataire au foyer, le savant à l’université américaine, et l’homme à l’amour inconditionnel. Confusion des faits, confusion de l’Histoire.

 

Yasmina Mahdi


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A propos du rédacteur

Yasmina Mahdi

 

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rédactrice

domaines : français, maghrébin, africain et asiatique

genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd

maison d'édition : toutes sont bienvenues

période : contemporaine

 

Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.

DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.

Co-directrice de la revue L'Hôte.

Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.

Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.