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Tordre la douleur, André Bucher (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin 23.03.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Le Mot et le Reste

Tordre la douleur, janvier 2021, 152 pages, 15 €

Ecrivain(s): André Bucher Edition: Le Mot et le Reste

Tordre la douleur, André Bucher (par Anne Morin)

 

C’est une voix bourrue, rude, brute, en accord avec le paysage de montagne et les rapides changements de temps, qui se fait entendre, qui s’élève et s’adoucit pour conter de petits faits, de petites existences brisées par le quotidien, par le cours des choses, ce qu’on n’attend pas, ce qu’on ne supporte plus… un trop-plein d’injustice, de minuscules gouttes qui font déborder le vase ou d’un raz-de-marée brisant une existence… la vie à vif, qui décape.

C’est une série de faits divers advenus à des personnages qui ne se connaissaient pas, et qui se rencontrent, un destin commun, comme on dit un pot commun, de brindilles ballottées.

La voix des hommes se mêle, sans la reconnaître, sans se reconnaître, à celle de la nature, la re-lisant, l’accompagnant parfois sans la déchiffrer : « La neige, cette douceur sourde surgie de la nuit assiégée, attisée par le vent, se durcissait à vue d’œil et en propulsant ses cristaux à l’horizontale, elle leur fouettait le visage » (p.122).

Ce sont quelques vies qui se croisent, qui n’auraient pas dû être là au moment où… à la survenue de faits plus ou moins petits, qui s’entrechoquent : une mort accidentelle, une mort « bête » comme on le dit de toutes, une rencontre fortuite : des vies mises en morceaux par la disparition d’un être cher : le fils de Bernie, la mère de Sylvain, une femme battue qui fuit, et par toutes ces déchirures se laisse entrevoir aussi la trame d’une autre vie, un espoir, un après.

Et tout au long, un chien qui suit les événements, dont on ne sait pas bien à qui il appartient, comme un témoin, un fil conducteur : « Et ce chien auquel tout d’abord nul ne prête attention ni ne sait d’ailleurs à qui il appartient. Ce chien qui se couche devant la civière et se met à gémir » (p.36), « (…) il avait à nouveau rencontré ce chien qui dans un étrange mimétisme, se livrait au même manège sur le théâtre de l’accident » (p.74). C’est aussi au chien qu’on demande : « Doit-on tendre ou tordre la douleur ? » (p.102).

Faisant écho, la voix du narrateur s’adoucit à la misère et au malheur, c’est lui qui donne à la nature son viatique d’apaisement, ainsi des arbres : « Confronté à cette complainte si proche du murmure, Bernie estimait que seules des oreilles délicates, en prise directe avec le cœur, étaient capables et dignes de l’entendre » (p.84).

Quel est le sens de la douleur ? Quelle est la résistance de l’homme face à ce qui survient ? Comment continuer quand on se retourne… ? Peut-être, si et seulement si, et encore peut-être on est éveillé : « Elle huma l’air et son odeur singulière. Les fruits en coton de la neige se répandaient à nouveau sur la plaine comme un doux duvet sur une blessure » (p.152).

 

Anne Morin

 

André Bucher est né en 1946. Après avoir exercé mille métiers (bûcheron, docker, berger), il s’installe à Montfroc, dans la Drôme, en 1975, où il vit toujours. Il est l’une des voix les plus singulières de la littérature française contemporaine. Tordre la douleur est son dixième roman.

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A propos de l'écrivain

André Bucher

 

Écrivain, paysan, bûcheron, André Bucher est né en 1946 à Mulhouse, Haut-Rhin. Après avoir exercé mille métiers (docker, berger, ouvrier agricole…), il s’installe à Montfroc en 1975, vallée du Jabron, dans la Drôme, où il vit toujours. Il est un des pionniers de l’agriculture bio en France. Écrivain des grands espaces, lecteur de Jim Harrison, Rick Bass, Richard Ford…, des écrivains amérindiens tels James Welch, Louise Erdich, Sherman Alexie, David Treuer…, son écriture puise sa scansion, sa rythmique dans le blues, la poésie, le jazz et le rock’n’roll. La nature n’est pas un décor mais un personnage de ses histoires. Fée d’hiver est son sixième roman.

Bibliographie :

Histoire de la neige assoupie, Une hirondelle qui pleure tout le temps, (nouvelles), Chiendents n°17, Cahier d’arts et de littératures, André Bucher, Une géographie intime.

Fée d’hiver, roman, éditions le mot et le reste, 2012

La Cascade aux miroirs, roman, Denoël, 2009

Le Pays de Haute Provence, carnet de voyage, vu de l’intérieur, récit, en collaboration avec un photographe, Pascal Valentin, pour l’office de tourisme du Pays de Haute Provence, 2007

Déneiger le ciel, roman, Sabine Wespieser, 2007

Le Matricule des Anges n°80, Clairé par une âpre beauté

Pays à vendre, roman, Sabine Wespieser, 2005

Le Cabaret des oiseaux, roman, Sabine Wespieser, 2004, France-Loisirs, 2005, traduction en langue espagnole El Funambulista, 2007, traduction en chinois, 2008

Le Pays qui vient de loin, roman, Sabine Wespieser, 2003

Le Juste Retour des choses, Saint-Germain-des-Prés, Miroir oblique, 1974

Le Retour au disloqué, Publication par l’auteur, 1973

La Lueur du phare II, Éditions de la Grisière / Éditions Saint-Germain-des-Prés, Balises, 1971

La Fin de la nuit suivi de Voyages, J. Grassin, 1970

 

A propos du rédacteur

Anne Morin

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Rédactrice

genres : Romans, nouvelles, essais

domaines : Littérature d'Europe centrale, Israël, Moyen-Orient, Islande...

maisons d'édition : Gallimard, Actes Sud, Zoe...

 

Anne Morin :

- Maîtrise de Lettres Modernes, DEA de Littérature et Philosophie.

- Participation au colloque international Julien Gracq Angers, 1981.

- Publication de nouvelles dans plusieurs revues (Brèves, Décharge, Codex atlanticus), dans des ouvrages collectifs et de deux récits :

La partition, prix UDL, 2000

Rien, que l’absence et l’attente, tout, éditions R. de Surtis, 2007.