Ton cœur comme un poing, Sunil Yapa
Ton cœur comme un poing, janvier 2017, trad. anglais (USA) Cyrielle Ayakatsikas, 352 pages, 23,50 €
Ecrivain(s): Sunil Yapa Edition: RivagesC’est un roman puissant, un roman américain dans ce qu’il donne de meilleur, écrit au présent de narration, comme si les événements se déroulaient devant nos yeux, immédiatement.
L’intrigue prend place lors d’une des premières manifestations altermondialistes, la fameuse marche de protestation qui a lieu à Seattle en novembre 1999. Deux camps se font face : les manifestants, pacifistes de tous bords, et les forces de police, prêtes à tout pour maintenir l’ordre.
Plusieurs personnages sont approchés en multifocale : Victor le junkie, John Henry l’ancien homme d’Eglise, l’agent de police Timothy Park au visage balafré, patrouillant sur son cheval, Julia, dite Ju, la fliquette armée pour tuer, le Major Bishop, à la tête des forces de l’ordre en charge de la sécurité, menant les troupes au combat, King, la spécialiste de la non-violence. Il y a aussi le Dr Charles Wickramsinghe, ministre adjoint des Finances et de la Planification du Sri Lanka, délégué pour participer à une rencontre avec Clinton afin d’obtenir la quarantième et dernière signature de son traité régulant le commerce extérieur de son pays, et malencontreusement pris dans le maëlstrom. Tous ces personnages, le lecteur les suit pas à pas, heure après heure, dans leurs déplacements, les scansions de leurs slogans, leurs pensées et leurs agissements.
Dès les premières pages du livre, le ton est donné : parmi les motivations des personnages, de quelque bord qu’ils soient, colère, douleur, amour et compassion sont intimement mêlés.
« Mais c’est le problème de la colère. C’est le délicat problème de la douleur. Elle se tapit parfois dans un coin, attendant simplement de vous ouvrir en deux, de l’estomac à la gorge ».
« Cela – l’intervention du Major – confirme tout ce en quoi elle croit. Le pouvoir de l’amour. Le pouvoir transformateur du pacifisme ».
Paix et violence, au lieu d’être séparées par une ligne de démarcation franche, se frottent l’une à l’autre dans un corps à corps qui les fait osciller un temps du côté des « lockdowns »*, puis basculer du noir côté de la furie, du côté des « masques d’insectes », des « lanceurs de grenades lacrymogènes » et des fusils à balles de caoutchouc, puis à balles de plomb, des revolvers et du goût du sang et des vomissures.
Même les rêveurs sont confrontés à l’action : Victor, à qui l’herbe comme la lecture procurent « une sensation d’expansion, étrange et délicieuse, les mots qui s’étiraient sur plusieurs décennies et plusieurs continents », est happé par l’action collective et meurtrière au cours de laquelle il fera une rencontre primordiale, King est confrontée à un noir aspect de son passé, alors que les forces de l’ordre, Bishop en tête, mais aussi Ju, au point culminant du combat, font un choix individuel pour défendre l’humain : « Qu’est-ce qui, chez un jeune de dix-neuf ans non armé, peut effrayer un agent de police armé ? »
Au-delà de l’événement historique qui prend place dans les rues de Seattle, c’est une prise de conscience qui se fait jour : celle de la perte du pouvoir d’ingérance et de sauveur de la planète des Etats-Unis au profit d’une entente entre pays émergents qui cherchent à asseoir un pouvoir politique et économique équitable, c’est-à-dire un pouvoir qui ne profite pas qu’aux nantis, mais qui intègre les anciennes colonies ayant gagné leur indépendance.
Sylvie Ferrando
* Actions pacifiques au cours desquelles huit participants sont assis en tailleur sur la chaussée, les bras enfoncés dans un tuyau de PVC et attachés de l’intérieur à l’aide d’une chaîne à ceux de ses voisins immédiats. La libération des membres du cercle peut avoir lieu soit par celui qui fait le lien entre les extrêmités cadenassées, soit par le découpage des tuyaux à l’aide d’une scie à diamant.
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