Tombouctou, Tombouctou, Tombouctou !
Souffles ...
Ces jours-ci, elle est triste, Tombouctou ! Sous les cris Allah Akbar, les inquisiteurs fanatiques débarquent ! Ils démolissent la mémoire de l’âme. Cassent l’encrier humain ! Nous hommes de lettres, communauté de lecteurs, qui parmi nous, au moins une fois dans sa vie, n’a pas entendu parler de Tombouctou. Qui parmi nous n’a pas lu un petit quelque chose sur Tombouctou, la cité immortelle. Mémorial. Tatouage ! Je parle de notre Tombouctou qui n’a aucun rapport avec une autre “Tombouctou”, celle qui n’est que titre exotique d’un roman sur les chiens, j’aime les chiens, écrit par le célèbre écrivain américain Paul Auster, publié en 1999. Tombouctou, dans la mémoire universelle, est le carrefour des civilisations. Elles débarquaient sur le lieu enfourchant les dos des chameaux ou ceux des chevaux. Elle symbolise le plus grand centre des manuscrits qu’a connu l’histoire de l’humanité. Tous les alcoolivres du monde, des siècles successifs, ont rêvé de franchir les portes magiques de cette ville mystérieuse. Franchir les portes du savoir. Les savoirs ! Tombouctou est une ville ne ressemblant qu’à elle-même, qu’à son miroir ! Unique ! Les pieds dans le sable chaud et prophétique, Tombouctou dormait et se réveillait sur les secrets des trésors impérissables de l’humanité.
Les poètes, les fous du verbe, ceux du nord comme ceux du sud, ont toujours célébré cette cité africaine rivale de l’ancienne Athènes méditerranéenne. Tous les grands globe-trotters littéraires nous ont légué, à propos de Tombouctou, des perles témoignages, des gros volumes gorgés de fascination et d’amour. Ibn Batouta comme Al Bekri ou d’Al Makdissi ou de Léon l’Africain (Hassan El Ouazzane) et d’autres, tous sont tombés amoureux de cette cité énigmatique. Tombouctou fut la Kaaba africaine. Il n’y a pas d’Afrique sans Tombouctou. Elle est plus grande que le Mali. Tombouctou n’est pas un château de sable ! Cette cité africaine ancestrale, à l’image de notre Tamentit située aux portes d’Adrar, était l’espace frétillant où se croisaient, dialoguaient, conversaient toutes les cultures, toutes les religions : monothéistes, polythéistes et athéistes. Dans cette ville, Tolède d’Afrique, on parlait le haoussa, le tamasheq, l’arabe, le souahili, le habachi, somali, l’hébreu et d’autres…
Aujourd’hui, de Tokyo jusqu’à Dakar, de Tananarive à Caracas, tous les alcoolivres du monde sont tristes, abattus. Le paradis des manuscrits est brûlé ! Immolation, le feu est mis dans l’éden ! Tombouctou tombe entre les mains des fanatiques, des intégristes islamistes. Les inquisiteurs ! C’est tout un patrimoine universel qui s’écroule, qui s’en va. Le rêve cauchemardesque habite la nuit africaine ! Une mémoire s’éteint. J’imagine Ibn Batouta, se retourne dans sa tombe. Et Hassan El Ouazzane ou Leo Africanus, peu importe l’appellation, revoit, corrige son itinéraire et les détails de son voyage. Les milliers de caravanes changent leurs orientations, rebroussent leurs chemins. Tombouctou cité située sur les frontières entre le réel et l’imaginaire perd ses langues, ôte son image et son imaginaire. Les alcoolivres ont peur, liseurs et vendeurs comme acquéreurs des manuscrits, qui jadis arrivaient des quatre coins du monde pour s’installer dans cette légendaire cité. Il n’y a plus d’odeur d’encres. Tombouctou, Tombouctou, Tombouctou, on sent la mort et la trahison, mes chers alcoolivres.
Amin Zaoui
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