Identification

Tombouctou, Tombouctou, Tombouctou !

Ecrit par Amin Zaoui le 10.07.12 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Tombouctou, Tombouctou, Tombouctou !

Souffles ...

 

Ces jours-ci, elle est triste, Tombouctou ! Sous les cris Allah Akbar, les inquisiteurs fanatiques débarquent ! Ils démolissent la mémoire de l’âme. Cassent l’encrier humain ! Nous hommes de lettres, communauté de lecteurs, qui parmi nous, au moins une fois dans sa vie, n’a pas entendu parler de Tombouctou. Qui parmi nous n’a pas lu un petit quelque chose sur Tombouctou, la cité immortelle. Mémorial. Tatouage ! Je parle de notre Tombouctou qui n’a aucun rapport avec une autre “Tombouctou”, celle qui n’est que titre exotique d’un roman sur les chiens, j’aime les chiens, écrit par le célèbre écrivain américain Paul Auster, publié en 1999. Tombouctou, dans la mémoire universelle, est le carrefour des civilisations. Elles débarquaient sur le lieu enfourchant les dos des chameaux ou ceux des chevaux. Elle symbolise le plus grand centre des manuscrits qu’a connu l’histoire de l’humanité. Tous les alcoolivres du monde, des siècles successifs, ont rêvé de franchir les portes magiques de cette ville mystérieuse. Franchir les portes du savoir. Les savoirs ! Tombouctou est une ville ne ressemblant qu’à elle-même, qu’à son miroir ! Unique ! Les pieds dans le sable chaud et prophétique, Tombouctou dormait et se réveillait sur les secrets des trésors impérissables de l’humanité.

Les poètes, les fous du verbe, ceux du nord comme ceux du sud, ont toujours célébré cette cité africaine rivale de l’ancienne Athènes méditerranéenne. Tous les grands globe-trotters littéraires nous ont légué, à propos de Tombouctou, des perles témoignages, des gros volumes gorgés de fascination et d’amour. Ibn Batouta comme Al Bekri ou d’Al Makdissi ou de Léon l’Africain (Hassan El Ouazzane) et d’autres, tous sont tombés amoureux de cette cité énigmatique. Tombouctou fut la Kaaba africaine. Il n’y a pas d’Afrique sans Tombouctou. Elle est plus grande que le Mali. Tombouctou n’est pas un château de sable ! Cette cité africaine ancestrale, à l’image de notre Tamentit située aux portes d’Adrar, était l’espace frétillant où se croisaient, dialoguaient, conversaient toutes les cultures, toutes les religions : monothéistes, polythéistes et athéistes. Dans cette ville, Tolède d’Afrique, on parlait le haoussa, le tamasheq, l’arabe, le souahili, le habachi, somali, l’hébreu et d’autres…

Aujourd’hui, de Tokyo jusqu’à Dakar, de Tananarive à Caracas, tous les alcoolivres du monde sont tristes, abattus. Le paradis des manuscrits est brûlé ! Immolation, le feu est mis dans l’éden ! Tombouctou tombe entre les mains des fanatiques, des intégristes islamistes. Les inquisiteurs ! C’est tout un patrimoine universel qui s’écroule, qui s’en va. Le rêve cauchemardesque habite la nuit africaine ! Une mémoire s’éteint. J’imagine Ibn Batouta, se retourne dans sa tombe. Et Hassan El Ouazzane ou Leo Africanus, peu importe l’appellation, revoit, corrige son itinéraire et les détails de son voyage. Les milliers de caravanes changent leurs orientations, rebroussent leurs chemins. Tombouctou cité située sur les frontières entre le réel et l’imaginaire perd ses langues, ôte son image et son imaginaire. Les alcoolivres ont peur, liseurs et vendeurs comme acquéreurs des manuscrits, qui jadis arrivaient des quatre coins du monde pour s’installer dans cette légendaire cité. Il n’y a plus d’odeur d’encres. Tombouctou, Tombouctou, Tombouctou, on sent la mort et la trahison, mes chers alcoolivres.

 

Amin Zaoui


  • Vu: 2891

A propos du rédacteur

Amin Zaoui

Lire Tous les textes d'Amin Zaoui

 

Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009