Toboggan, Gildas Milin
Toboggan, 2012, 78 pages, 16 €
Ecrivain(s): Gildas Milin Edition: Actes Sud/Papiers
Le théâtre contemporain est assez souvent simultanément texte et spectacle vivant. C’est le cas avec Toboggan de G. Milin. En effet l’auteur monte sa propre pièce, en assure la scénographie et la lumière dans une production des Bourdons Farouches alors même que le texte sort en librairie.
Celui-ci nous plonge dans une sorte de « sociale-fiction », même si le phénomène des vieux abandonnés de tous, sans protection sociale aucune, qui survivent en devenant délinquants, espérant ainsi aller en prison, existe bel et bien au Japon. Nous pénétrons dans une jungle urbaine qui, sur le plateau, deviendra une lande de sable. La première didascalie de la scène 1 est explicite : « Béton, terrain vague, ordures, désert ». Un gang de vieux malades approchant les 70 ans, au parcours professionnel plus ou moins chaotique (la liste longue des personnages fonctionne comme un CV impitoyable), apparaît dès le début du texte selon un entrelacement. Le nom des personnages les intègre au monde des bêtes ou à celui des Indiens : Loup ; Louve ; Butor étoilé. Ils sont sauvages, ils lynchent sauvagement un homme dans la scène 1,5,15. Ils se nourrissent comme des animaux, dévorant le contenu de boîtes de conserve.
« Tous commencent à manger avec leurs mains, goulûment » précise une didascalie de la scène 46. Ils ne parlent mais hurlent, insultent. Les impératifs et les exclamatives se multiplient : « Tue-le ! » Ou bien « Frappez-le ». Ils ne veulent qu’une seule chose, être arrêtés pour leur crime afin de bénéficier d’une protection en prison. D’autres actions coupent celles des vieux. Tout d’abord intervient la conférence de Wladimir Zant, enquêteur-contrôleur du phénomène toboggan. Ensuite surgit une jeune femme entre 20 et 30 ans sans nom. Elle est libre et récite un long poème tout au long du texte « le poème télescopique » dans la scène 47, elle le définit en ces termes : « c’est la somme d’un ensemble de phrases dites de télescopage ». Les vieux au départ se méfient d’elle mais ils finiront par en faire une alliée.
G. Milin dit de cette pièce qu’elle est une comédie noire. Ne s’agit-il pas plutôt d’une tragédie ? Le tragique affleure sans cesse à travers la violence (la volonté de tuer un homme sans défense). Les didascalies indiquent avec insistance le temps de la nuit. En outre, il pleut beaucoup comme si nous étions dans un monde désespéré et désespérant à la Blade Runner (sc 1-5-22-44). Le gang court vers son fatal destin. G. Milin reprend la technique antique du chœur (sc 19 et 41). Le monologue, écriture aussi de la tragédie classique, revient à plusieurs reprises. Zant monologue à la scène 13 et 16 et Louve atteinte de la maladie d’Alzheimer rêve à voix haute (sc 21). La mort enfin ronge le texte du début à la fin. Les lyncheurs seront finalement les uns après les autres abattus par les miliciens lors d’un braquage de banque. Seul Loup survivra et ira en prison. Le sang coule. Et les vieux tombent. Tout s’arrête. Leur course ultime s’interrompt et la jeune fille rendue à elle-même continuera de marcher.
Ainsi G. Milin s’interroge-t-il sur notre société qui rejette ceux qu’elle nomme les seniors. Que se passera-t-il quand nous ne pourrons plus assurer nos vieux jours grâce à une retraite ? Serons-nous aussi condamnés, comme les personnages de sa pièce, à plonger dans la violence, dans le système toboggan ?
Marie Du Crest
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