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Théorie de la vilaine petite fille, Hubert Haddad

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 04.03.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Zulma

Théorie de la vilaine petite fille, janvier 2014, 400 pages, 20 €

Ecrivain(s): Hubert Haddad Edition: Zulma

Théorie de la vilaine petite fille, Hubert Haddad

 

Hydesville, comté de Monroe, mars 1848.

« Le soleil du crépuscule illuminait l’escalier à travers les fenêtres de l’étage. Assise sur une marche de bois cru, Kate observait la poussière. Celle-ci voletait à l’intérieur d’une lance de cristal comme suspendue au travers de la maison. Fascinée elle retenait son souffle. Chaque grain avait l’air de suivre une trajectoire bien à lui, dans la compagnie dansante de ses infimes voisins et il y en avait des milliers, des millions, davantage que d’étoiles fixes ou filantes par les nuits sans lune ».

Kate Fox a onze ans, l’âge des rêves et des histoires que l’on se raconte le soir pour jouer à se faire peur, pour oublier pêle-mêle le décès d’un jeune frère, celui de sa vieille chienne, la maison délabrée où l’on vient d’emménager et qui a la réputation chez les fermiers alentour d’être hantée. Kate est somnambule, dialogue avec Mister Splitfoot, l’esprit « frappeur » de la maison, convainc sa sœur Maggie de son existence, ainsi que sa mère et enfin sa sœur Leah, de vingt ans plus âgée, qui va flairer rapidement tout le potentiel commercial d’un don surnaturel.

En prenant pour thème de son dernier roman la vie des sœurs Fox, à l’origine du Modern spiritualism,Hubert Haddad plonge le lecteur dans une Amérique où l’irrationnel va devenir pour de longues décennies un crédo, la réponse aux attentes de tous les laissés-pour-compte qui affluent du monde entier dans une Amérique fantasmée. Un irrationnel qui va s’accompagner en parallèle d’une montée en puissance du scientisme et d’une révolution industrielle sans précédent. Et ce n’est pas le moindre mérite du livre d’Hubert Haddad que d’arriver à dépeindre, au-delà d’une biographie romanesque, un monde en ébullition, traversé par des contradictions, déchiré par des haines raciales et des guerres civiles, une société qui peine à trouver son identité, pétrie de superstitions, de racisme et de préjugés sexistes, écartelée entre une religiosité aux multiples doctrines servies par des prédicateurs exaltés et un libéralisme naissant.

Théorie de la vilaine petite fille décrit avec brio les errements, les avancées et reculs d’une société en proie aux doutes, en perte de repères et qui se réfugie dans l’irrationnel pour échapper à la difficulté d’affronter ses peurs, ses traumatismes, ses deuils, son sentiment de culpabilité et ses remords. Une société en quête d’une « vérité » qui se trouve toujours ailleurs. On ne s’y étonne guère des récupérations mercantiles de charlatans opportunistes, de l’égoïsme triomphant de ceux et celles qui, à l’instar de la ruée vers l’or, vont s’engouffrer dans le sillon du spiritisme, exploiter ce nouveau filon, quitte à jeter les deux plus jeunes sœurs, après le succès et la renommée, dans l’oubli et un dénuement sordide.

Ce roman foisonnant, couvrant un demi-siècle de l’histoire des États-Unis, est aussi une incursion subtile, imaginaire et pourtant tellement réaliste dans la personnalité des trois principales héroïnes, principalement Kate, mais aussi dans celle des personnages réels ou fictifs qui croisent leur route. Des salles de théâtre, du cirque Barnum, des presbytères aux fumeries d’opium, du monde des paysans à celui des villes, des vertes prairies à l’essor d’une urbanisation fébrile, on déambule tout au long des 400 pages avec ce sentiment d’une suspension consentie de l’incrédulité chère à Coleridge. Un roman où la nature déploie également toutes ses facettes, parfois paisible ou brusquement violente et cruelle ; elle-même magique, irrationnelle.

Ponctués de cantiques, de comptines, de chants d’esclaves, les chapitres s’enchaînent avec un charme envoûtant. La prose ciselée d’Hubert Haddad fait des miracles ; semée de mots rares comme autant de pépites, elle force l’attention et l’admiration du lecteur. Cette écriture exigeante est à la hauteur du propos qui évite toute forme de simplification, de schématisme sur un sujet complexe et délicat.

Théorie de la vilaine petite fille est un pur bonheur de lecture, un roman qui vous accompagne longtemps après avoir refermé la dernière page.

 

Catherine Dutigny/Elsa

 


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A propos de l'écrivain

Hubert Haddad

Tout à la fois poète, romancier, historien d’art, dramaturge et essayiste, Hubert Haddad, né à Tunis en 1947, est l’auteur d’une œuvre vaste et diverse, d’une forte unité d’inspiration, portée par une attention de tous les instants aux ressources prodigieuses de l’imaginaire. Depuis Un rêve de glace, jusqu’aux interventions borgésiennes de l’Univers, premier roman-dictionnaire, et l’onirisme échevelé de Géométrie d’un rêve ou les rivières d’histoires de ses Nouvelles du jour et de la nuit, Hubert Haddad nous implique magnifiquement dans son engagement d’artiste et d’homme libre. (Présentation de l’auteur sur le site des Éditions Zulma)

 


A propos du rédacteur

Catherine Dutigny/Elsa

 

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Rédactrice

Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.


Domaines de prédilection : littérature anglo-saxonne, française, sud-américaine, africaine

Genres : romans, polars, romans noirs, nouvelles, historique, érotisme, humour

Maisons d’édition les plus fréquentes : Rivages, L’Olivier, Zulma, Gallimard, Jigal, Buschet/chastel, Du rocher, la Table ronde, Bourgois, Belfond, Wombat etc.