Paperboy, Pete Dexter
Paperboy (The Paperboy), 374 p., traduit de l’anglais (USA) par Brice Matthieussent, 7,50 € (1995)
Ecrivain(s): Pete Dexter Edition: Points1965. Floride, comté de Moat.
Le Shériff Thurmond Call a été retrouvé mort, éventré. Dans l’exercice de ses fonctions, il avait tué bon nombre de personnes, mais des Noirs, ce qui, dans la Floride des années 60, n’était pas si grave que ça… Un jour, un peu trop éméché, il tue à coups de pieds Jérôme Van Wetten. Un vendeur de voitures. Et un blanc.
Une semaine plus tard, l’un de ses cousins, Hillary Van Wetten était arrêté et reconnu coupable du meurtre du représentant de l’ordre et il est condamné à la chaise électrique.
Son cas va intéresser deux journalistes d’investigation d’un journal de Miami, le frère du narrateur, Ward et son collègue Yardley Acheman. Les deux hommes ont, grâce à leurs premiers articles, acquis une certaine notoriété et ils comptent sur le cas d’Hillary Van Wetten pour emmener leur carrière vers les sommets et le Prix Pulitzer. En effet, le procès s’est déroulé de manière un peu hâtive, beaucoup de zones d’ombre n’ont pas été explorées.
Ils pensent pouvoir sortir le prisonnier du couloir de la mort.
Parce que les deux journalistes ont leur permis suspendu, Ward demande à son frère, Jack, de leur servir de chauffeur. Jack a été exclu de l’université pour des actes de sabotage et, en attendant quoi faire de sa vie, il a rejoint le domicile familial et il effectue la livraison du journal qui appartient à son père, le Moat County Tribune.
Jack est le narrateur du livre. Il est à la fois au cœur de l’action, mais aussi légèrement en retrait, ce qui en fait un témoin privilégié de l’enquête.
Les journalistes vont être aidés par Charlotte Bless. Elle a l’habitude de correspondre avec des hommes emprisonnés. Elle a eu le coup de foudre pour Hillary et s’est fiancée avec lui.
« Ce que vous faites ici, c’est mouiller à l’idée que ce type va passer sur la chaise électrique » dit d’elle Acheman.
Elle est persuadée de l’innocence d’Hillary. Elle en a en effet la « preuve psychologique ».
« Dans un paragraphe, elle analysait les condamnations à mort prononcées par le juge Wayaln Lord, et dans le paragraphe suivant elle remarquait que tous les assassins qui lui avaient écrit, sauf Hillary Van Wetter, désiraient coller leur bouche contre son vagin et même dans la fente de ses fesses. Hillary n’avait pas ce désir, ce qu’elle considérait comme la “preuve psychologique” de son innocence. Il avait envie de se faire sucer, comme un juge ».
Mais les journalistes vont devoir trouver des preuves plus irréfutables pour faire acquitter le condamné…
C’est d’autant plus dur qu’Hillary n’est pas un prisonnier qu’on a envie de défendre. Et il ne fait d’ailleurs rien pour aider les journalistes à le sauver du couloir de la mort, il a l’air parfaitement à l’aise à l’idée d’être exécuté.
Si Hillary n’est pas coupable du meurtre du Shérif Call, il est loin d’être un enfant de cœur, et il mérite certainement son sort.
« Même s’il n’avait pas tué le shérif Call, je compris qu’il était parfaitement coupable ».
Mais peu importe. Ward veut faire la lumière sur cette affaire. Il veut savoir si Hillary a bien tué le Shérif Call.
« Fondamentalement, mon frère voulait savoir ce qui s’était passé et l’écrire noir sur blanc. Il voulait que tout soit exact, à la virgule près ».
L’enquête est excitante quand elle démarre, mais ensuite, elle s’enlise dans la routine. Le travail est long, fastidieux. Les impasses se multiplient.
Même s’il en a l’apparence, Paperboy n’est pas un roman à suspense. Pete Dexter en désosse la mécanique. Plus que la vérité (qui semble de toute façon floue à mesure que l’enquête progresse), il s’intéresse à la manière dont elle est recherchée, traquée par deux hommes, dans un environnement hostile.
C’est pour cela qu’il confia la narration à quelqu’un d’extérieur à l’enquête. Il peut prendre du recul, s’intéresser à d’autres choses qu’à tirer un homme de la chaise électrique, Hillary. L’enquête ne devient qu’un élément parmi d’autres.
Il observe son frère, Ward, travailler. Un grand frère que, finalement il ne connaît pas, mais qui ne se livre pas davantage malgré le temps qu’ils passent ensemble. C’est un taiseux, obsédé par son travail, qu’il mène avec une rigueur sacerdotale.
« Ward refusa d’adopter le mode de vie des autres reporters. Son bureau était impeccablement rangé et il vérifiait compulsivement tous les faits ; il travaillait pendant des heures au-delà des horaires normaux et ne remplissait jamais aucun formulaire pour se faire payer ces heures supplémentaires ».
Le titre d’un autre livre de Pete Dexter, Un amour fraternel, aurait tout aussi bien pu convenir à Paperboy…
Pete Dexter a d’abord mené une carrière de journaliste avant de se consacrer à l’écriture. Ce livre est un hommage à une profession, en même temps qu’une dénonciation à charge. Les journalistes ne sont pas des preux chevaliers qui font surgir la vérité tout à coup. Ce sont aussi des gens avides de gloire, soumis à la tentation, qui veulent aller parfois un peu trop vite en besogne quitte à laisser certains éléments de côté. Faire du journalisme consciencieux demande du temps, une rigueur implacable, mais qui se heurte aussi à des impératifs économiques et médiatiques que tout le monde n’est pas prêt à l’accepter.
Paperboy n’est pas un livre mené pied au plancher. Au contraire, Pete Dexter prend son temps, adopte les chemins de traverses. Il travaille des éléments du thriller, mais pour livrer un ouvrage qui relève davantage de l’étude sociologique (d’une profession, mais aussi d’une région), mais où la vérité n’est toujours jamais celle que l’on croit… Elle n’est pas toujours romanesque, mais la manière dont elle a été obtenue peut l’être beaucoup plus.
Yann Suty
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