God's Pocket, Pete Dexter
God’s Pocket (A Nover), Points Roman Noir, traduit de l’anglais (USA) par Olivier Deparis, 384 p. 7,50 € (1983)
Ecrivain(s): Pete Dexter Edition: Points
God’s Pocket. Un titre mystique pour un livre qui ne l’est pas… tout à fait. Car il ne s’agit pas de « la poche de Dieu » ou d’une métaphore quelconque, mais simplement du quartier ouvrier de Philadelphie où se déroule le roman.
L’un des personnages, le journaliste du Daily News Richard Shellborn le décrit ainsi :
« Les ouvriers de God’s Pocket sont des gens simples. Ils travaillent, suivent les matchs des Phillies et des Eagles, se marient et ont des enfants qui à leur tour habitent le Pocket, souvent dans les maisons même où ils ont grandi. Ils boivent au Hollywood ou à l’Uptown, de petits bistrots d’aspect crasseux perdus dans la ville, et ils s’y débattent avec la passion des choses qu’ils ne comprennent pas. Politique, race, religion ».
Les habitants de God’s Pocket ne franchissent quasiment jamais les limites de leur quartier. Ils ne se marient qu’entre voisins et n’ont aucun secret les uns pour les autres. Ils ne facilitent jamais la tâche des étrangers qui viennent s’installer. De toute façon, on ne devient pas un habitant de God’s Pocket, on naît tel. C’est le droit du sang qui prévaut.
Et c’est par le sang que le livre débute. Par une mort, celle de Leon Hubbard, survenue sur un chantier. Il y est employé comme maçon, mais maçon, il ne l’est pas vraiment, il a obtenu le poste parce que son beau-père, Mickey Scarpato, aurait des liens avec la Mafia.
Rapidement, il déstabilise l’équipe du chantier. Il travaille peu, est agressif, un vrai petit roquet. Il ne cesse de sortir un rasoir avec lequel il joue, il menace les uns et les autres. Un jour, il pousse le bouchon trop loin. Et le placide Old Lucy, lui, aurait déjà l’âge d’être à la retraite, qui ne dit jamais un mot, un employé modèle, craque et lui fend le crâne avec un tube en fer.
Le garçon meurt peu après.
La version officielle stipulera un accident : un morceau de grue est tombé et Leon l’a pris sur le crâne.
Pete Dexter va, dès lors, ausculter quelques habitants du quartier et leurs vies, leurs réactions après cette mort qui change tout. Plus rien ne sera jamais comme avant.
Il y a sa mère, Jeanie Scarpato, une habitante d’origine de God’s Pocket. Son beau-père, Mickey le camionneur, revendeur de viande, qui multiplie les tournées à bord de son camion frigorifique. Il tente d’organiser coûte que coûte une cérémonie d’enterrement digne. Coleman Peets, le chef de chantier et Old July, le meurtrier. Mais il y a aussi l’inspecteur Calamity Eisenhower ou le journaliste Riochard Shellburn.
Ce dernier travaille au Daily News où il tient une chronique quotidienne depuis plus de vingt ans. Le rédacteur en chef du journal le pousse à mener l’enquête sur la mort de Leon. Mais Shellburn en a assez. Il a 53 ans et il préfère passer son temps à boire plutôt qu’à s’atteler à ses chroniques.
« Mais depuis vingt ans qu’il tenait cette chronique, cela en faisait au moins dix qu’il ne s’intéressait plus à ce qu’on lui disait. Même ce qu’il écrivait ne l’intéressait plus ».
Le roman se déroule sur quelques jours, de la mort de Leon jusqu’à son enterrement. Pete Dexter observe tout ce petit monde avec la précision d’un entomologiste. Dexter n’est pas un adepte de la psychologie. Il ne nous plonge pas dans les pensées des personnages, ou sinon par petites touches éparses, ici et là, presque à la marge. De la même manière, il n’est pas très friand de longues descriptions. Une ou deux phrases suffisent à poser une situation, à décrire un lieu.
Dexter est un adepte du comportementalisme. Il regarde ses personnages faire et parler et c’est seulement par leurs actes et leurs paroles qu’une personnalité se crée et se distingue.
Par ce procédé, il parvient à donner une véritable humanité à ses personnages, à provoquer l’empathie. Ils sont tour à tour attachants et exaspérants, on trouve que ce qui leur arrive est bien fait pour eux, ils n’ont que ce qu’ils méritent, ou bien non, ils n’ont vraiment pas de chance.
Dexter passe de l’un à l’autre, alterne les points de vue. Parfois, les mêmes scènes sont appréhendées suivant des regards différents. La réalité de l’un n’est pas toujours celle de l’autre
Les personnages se débattent face à un destin qui semble déjà écrit. Car c’est un roman noir et comme tout bon roman noir qui se respecte, toutes les décisions que les personnages prendront ne feront que les emmener dans la situation où ils doivent aller. Et qui les dépassera forcément. Qui scellera leur sort.
L’emploi du présent et de phrases courtes, dynamiques, participe aussi à ce sentiment d’inéluctabilité.
« Mickey a beaucoup de trucs tordus dans la tête en ce moment. Il fait le vœu de revenir dès demain aux conneries habituelles. Il contrôle le camion avant d’entrer dans la maison. Le groupe frigorifique est branché, la viande toujours à sa place, répartie de chaque côté de l’essieu. Il reste là un instant, à se demander où on a stocké Leon pour la nuit, et pour la première fois depuis la mort de ce dernier, il a de la peine pour lui. Lorsqu’il referme le camion et le garage, une lumière s’allume dans la cuisine ».
Pete Dexter suit l’individu, il lui colle au train, mais finalement aucune de ses décisions ne lui permettra de changer le cours de sa destinée. Comme si un Dieu, quelque part, avait déjà tout prévu.
Yann Suty
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