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Textes à conquérir, Max Fullenbaum

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret 21.08.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Textes à conquérir, Les éditions du Littéraire, juin 2018, 136 pages, 13 €

Ecrivain(s): Max Fullenbaum

Textes à conquérir, Max Fullenbaum

 

Hiatus pour vies en disparition

On ne se remet jamais de l’histoire, surtout lorsque sous Hitler on avait un nom que l’auteur nomme « inflammable ». Pour autant, Fullenbaum n’écrit pas un énième livre sur la Shoah. Et l’auteur octogénaire surprend ici par la jeunesse de son écriture quasi expérimentale. Pour dire le désastre, Fullenbaum au lieu d’étouffer la langue hiatus au nom de celui qu’il trouve jusque dans le mot « jui-if » en une sorte de clin d’œil au second degré à son exergue emprunté à Flaubert : « Hiatus – ne pas tolérer ».

Celui qui dans son enfance a échappé par un quasi-miracle aux rafles et à dévaler son pays en Pétainie mélange ses souvenirs et le réel en fragments ambitieux, angoissants, drôles, terribles. Parfois une seule phrase suffit pour tout comprendre : « Toujours un peu d’argent sur vous pour être prêts à partir ». Car des années 40 à aujourd’hui rien ne change. Même dans le mot « ju-if » l’auteur distingue un hiatus, une coupure mais aussi un lien où le masculin et le féminin se mêlent.

Existe là quelque chose d’irréductible. Et ce pour une raison majeure et un défi : la littérature ici ne se recopie pas, elle s’invente et progresse. Elle indique un passage ou une traversée au moment où le texte semble appartenir non à un ordre de ce qui fut ou de ce qui est mais de ce qui reste en devenir dans les jeux de substances syntaxiques.

Par leurs fragments et empreintes les Textes à conquérir prouvent que la littérature comme l’existence ne doit pas se vivre dans la queue ; car à suivre le monde tout se gâte. Fullenbaum s’érige en maître de virilité là où la fiction devient métaphore quasiment plus physique que métaphysique. L’auteur remonte et démonte la topographie de l’existence et du monde là où il fait basculer la mémoire par ce corps-écriture, mince filet qui – parfois – à travers ses interstices – fait dégorger bien des repères.

Surgit, des vocables les plus simples, une étrange intensité et un émoi donné par la cassure des syntaxes. Fullenbaum crée une ouverture qui souligne le silence pour mieux dire et voir mieux la solitude, le cercle de la clôture. Nulle possibilité de négligence, rêverie, oubli ou accident de parcours. A l’impossible tout le monde est tenu ou plutôt retenu en suspens dans l’espace et en un étrange cours afin de suggérer l’invisible et d’épouser le mouvement imperceptible de la catastrophe d’hier toujours prête à renaître de ses cendres. C’est pourquoi l’auteur refuse toute « neutralité » à l’écriture, sans être impudique : voici des traces dont on ignore tout. L’éloignement a ainsi ses paliers, la proximité ses bornes. Demeure le chemin effectué et celui qui reste à parcourir.

Le texte est en ce sens impitoyable mais laisse plus à une circulation parfois étrange : à l’étoile imposée succèdent des foulards choisis sans que l’histoire fasse de grand pas en avant – sinon au bord de bien des gouffres. C’est vieux comme elle. Néanmoins Fullenbaum ne désespère pas. Du moins pas en totalité.

Il embrasse des phrases rimbaldiennes pour faire bon poids. Il n’empêche que l’arrivée des ordinateurs fait une nouvelle fois le jeu des barbares. Et entre vie telle qu’elle fut ou telle que l’auteur la reconstruit, toute une charge souterraine suit son cours. Et le bilan n’est pas forcément satisfaisant.

Mais l’auteur court toujours comme le héros d’un célèbre film américain Forrest Gump. Plus même car Buster Keaton lui non plus n’est pas loin : non le héros burlesque, mais le personnage tragique que Samuel mit en scène dans son film sobrement intitulé Film. Reste tout un déplacement de la langue pour éviter les « concentrations » toujours possibles. Plus qu’un autre, l’auteur sait où elles mènent.

Le tout dans un creuset où – au besoin – lorsque les mots manquent, il est toujours possible de trouver un « détecteur de vie antérieure ». Qu’importe s’il est en bakélite si c’est un moyen de conjurer l’idée que l’Apocalypse est pour demain. Reste à « Samuel » de trouver, non seulement dans ce qu’il a lu mais désormais écrit, de rester un auteur du terroir de ceux qui osent chanter sur un tas de fumier. Non pour jouer les coqs hardis mais parce qu’ils ont quelque chose à dire.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 


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A propos de l'écrivain

Max Fullenbaum

 

Max Fullenbaum est né Paris en 1937. Il vit et travaille à Trôo (41800) et a publié une dizaine de livres.

 

A propos du rédacteur

Jean-Paul Gavard-Perret

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Domaines de prédilection : littérature française, poésie

Genres : poésie

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Fata Morgana, Unes, Editions de Minuit, P.O.L


Jean-Paul Gavard-Perret, critique de littérature et art contemporains et écrivain. Professeur honoraire Université de Savoie. Né en 1947 à Chambéry.