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Tête en bas, Etienne Faure, par Nathalie de Courson

Ecrit par Nathalie de Courson le 31.08.18 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Tête en bas, Etienne Faure, Gallimard, mai 2018, 140 pages, 15 €

Tête en bas, Etienne Faure, par Nathalie de Courson

 

Tête en bas, sixième recueil de poésies d’Etienne Faure, est un livre non moins acrobatique – voire vertigineux – que son titre et ses deux exergues :

« Celui qui chute, vole », Hannah Arendt

« … je voyais l’envers de la vie que l’on menait en ville… », Anton Tchekhov

La composition de l’ensemble reste, comme celle des recueils précédents, rigoureuse, équilibrée, avec 130 poèmes de seize à vingt vers, répartis en douze sections et s’étendant chacun sur une page et une phrase à la fois. Ils portent tous un titre placé, à deux exceptions près, à la fin du poème, en quelque sorte tête en bas. Cette caractéristique de la manière d’Etienne Faure, partagée avec les autres recueils, prend ici toute sa signification, dans des pages que l’on est amené à reparcourir de bas en haut en même temps que s’effectuent dans les thèmes traités diverses descentes, remontées et retournements en doigts de gants.

« Rentré d’hémisphère Sud où j’ai vécu tête en bas », dit le cinquième poème, qui porte le titre du recueil (p.15). Le poète s’y présente comme un « antipodiste en chute libre » que la pesanteur rivera finalement au Nord. Se donnent ensuite à voir plusieurs lieux où géographie et histoire se rejoignent, le retour du passé s’opérant par un « travail du sol » (p.37-40), comme dans ces dépotoirs de villages d’où remontent, « dans le terreau des morts » (p.39), des plantes jetées avec leur pot et d’autres résidus tombés des murailles lors des guerres passées. Le sol est un manuscrit chaotiquement palimpseste ; le présent se nourrit en permanence des morts du passé comme le profère une rapide paronymie : « les corps/passés de pourriture à nourriture » (p.43), ce qui crée une histoire cyclique, faite de descentes et de montées et où domine la destruction. Le poète tourne la tête de tous les côtés, rappelant que ce qui est aujourd’hui paysage étendu devant nous représentait autrefois l’arrière pour les soldats du front. Il est également sensible aux généalogies familiales : la section intitulée Reproduction, très ironique, évoque autant la vie des bordels des années vingt que celle de familles qui reproduisent tous les dimanches les mêmes comportements, ou celle d’aïeux (p.25) :

dans un tableau inerte, entrelacs de membres,

en fait de famille, natures mortes

haletantes

d’avoir vécu chair contre chair, fait souche,

maintenant en os.

 

Comme dans le reste de l’œuvre, un certain nombre de poèmes font référence directement à la peinture : une place est accordée, bien entendu, au tableau de Chagall Le Poète à la tête renversée, sorte de double d’Etienne Faure : « (…) tout un monde à l’envers revu/comme on regarde par-dessous celui qui s’annonce » (p.69) ; mais aussi, de manière plus insistante, à des peintres immergés dans l’horreur comme Rebeyrolle, Otto Dix, ou le Goya des peintures noires : le poème intitulé O(p.55), « le O de stupéfaction des bouches que Goya/aura peintes », découvre « l’envers de la vie » avec des bouches ouvertes et des yeux tournés vers le dedans :

puis le O du regard excavé,

absent de l’extérieur, rien qu’en dedans

A mesure que progresse le livre, la mélancolie se fait plus profonde, non seulement « légèrement frôlée » – pour reprendre le joli titre du premier recueil d’Etienne Faure – mais donnant lieu à une poésie dont la tonalité générale est très sombre, comme si, à la manière de Goya dans La Maison du sourd, le poète prenait le risque de s’entourer de ses représentations les plus noires. Quelques poèmes détendent un peu l’atmosphère en déclinant comiquement le sens du titre, telle la description d’ébats amoureux acrobatiques dans la section intitulée Etreintes avec des contorsions dignes du Baiser de Picasso (p.88) :

 

(…) l’espace où chavirent

les corps le temps d’un éclair

torsadés, cous vrillés, cervicales

au bord de craquer quand les bouches

accolées s’acharnent, accolées fusionnent (…)

 

Mais d’autres pages ne manquent pas d’évoquer des mouvements de chute plus tragiques avec des tentations de défenestration amorties par l’impersonnalité d’un sujet « on » qui « s’apprête à sauter la rambarde » (p.82), et qui opérait sa chute « au ralenti », comme en vol plané, dès le poème bande annonce (p.16). L’ambiguïté du titre de la section Nous commençons notre descente (p.105) n’est pas plus rassurante, préludant à d’autres plongeons et remontées de cadavres dans le poème de près habitant la mort (p.110), puis à la section la plus endeuillée du livre, Thoraciques (p.113).

Tout ce remuement travaille la langue, avec une « dislocation momentanée de l’énoncé par syncope, ellipses, boucles, torsions, faufilage (…) qui perturbent, déglinguent, démantibulent discrètement le développement de la phrase-poème », dit Henri Droguet (Poezibao du 10 juillet 2018). Ceci rend d’ailleurs difficile le prélèvement de citations, tant les enjambements des vers et les renversements syntaxiques sont omniprésents. On serait tenté de parler d’une poétique du déplacement, ou du renversement au sens musical, harmonique du terme : état d’un accord dont la note fondamentale n’est pas à la base. Une figure récurrente en est l’hypallage qui consiste à déplacer une des qualités d’un objet à l’objet contigu et à créer ainsi un télescopage entre le sens et la syntaxe, comme dans l’expression : « la femme (…) s’en va seule au bras d’un sac » (p.104). Mais l’hypallage glisse vers l’allégorie dans la suite de ce poème, le seul à être constitué de trois phrases-strophes :

 

La mémoire est un sac où les objets les plus fins

se glissent, ressurgis tardivement

– le feu, la lettre ou le mouchoir –

oubliés, retrouvés familiers.

 

Sans aller jusqu’à parler de « temps retrouvé », on notera qu’Etienne Faure laisse toujours ouverte la possibilité d’une résurgence – même parcellaire, hésitante, détournée, ambiguë – de ce qui est tombé et a été enfoui. Les premiers mots du premier poème sont ceux d’une voix qui accompagne un réveil d’évanouissement : Vous êtes réveillé, bien que l’équivalent espagnol despertado y vienne se confondre avec son paronyme et presque antonyme desesperado…À l’inverse, au centre du recueil, apparaissent en diptyque sur la page de gauche et de droite (pp.66-67) deux poèmes-descriptions de tableau dont exceptionnellement le titre est placé au début : Vétusté, et Restauration. A gauche figure un poème troué à chaque vers, et à droite le même poème restauré :

 

Ecorché vif le tableau conserve

une espèce de cicatrice

par la restauration restée sincère(…)

 

Une « restauration restée sincère » : c’est peut-être avec ces trois mots que peut le mieux se définir la poésie d’Etienne Faure dans Tête en bas.

 

Nathalie de Courson

 

Étienne Faure, né en 1960 en Normandie, vit et travaille à Paris. Il a publié aux éditions Champ-Vallon : Légèrement frôlée (2007), Vues prenables (2009), Horizon du sol (2011), La vie bon train,Proses de gare (2013), Ciné-plage (2015). Ses poèmes ont d’abord paru dans de nombreuses revues : NRFConférenceThéodore BalmoralRehautsEuropePhoenix, Le Mâche-Laurier, Les carnets d’Eucharis, et les revues en ligne Sur Zone, Poezibao, Secousse.

 


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A propos du rédacteur

Nathalie de Courson

 

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Nathalie de Courson, enfance et adolescence à Madrid, agrégation de Lettres, doctorat de Littérature française, enseignement (beaucoup). Publications : Nathalie SarrauteLa Peau de maman (L’Harmattan) ; Eclats d’école (Le Lavoir Saint-Martin) ; articles dans les revues Poétique, Equinoxes, La Cause littéraire ; traductions de l’espagnol, dont, en 2017, le roman (traduit du castillan et de l’aragonais) Où allons-nous d’Ana Tena Puy (La Ramonda/Gara d’Edizions).

Auteur d’un blog http://patte-de-mouette.fr/