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Testosterone Therapy (par Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard 23.11.22 dans La Une CED, Ecriture, Récits

Testosterone Therapy (par Jeanne Ferron-Veillard)

 

Amis Français d’ici ou d’ailleurs, good morning ! allez, avouez-le ! vous vous êtes inscrite sur un site pour rencontrer l’homme de votre vie, en tout cas pour combler une part de votre vie. Vous habitez Mayami, vous avez téléchargé l’appli Bumble, vous avez confié vos données bancaires, vous ne savez pas trop à qui, vous avez accepté que vos données confidentielles ne le soient plus. Vous avez complété avec application toutes les lignes de votre profil, vous êtes géniale, bien sûr. Vous avez téléchargé vos plus belles photos, juste quelques années de décalage, ça va aller, vous n’êtes pas trop décatie, les hommes prétendent même que vous êtes plutôt bien conservée et ça vous fait bondir.

Eux en revanche, ils ont morflé. Les années, l’andropause, la presbytie, la calvitie, les divorces, les gosses en garde alternée, les licenciements, le business, le sport en dents de scie, se réinventer toujours et c’est loin d’être affriolant. Quant aux autres, ils sont beaucoup plus jeunes, beaucoup trop jeunes et jouer les mamans, ce n’est plus de votre âge.

Vous, c’est un homme qu’il vous faut, de votre génération pour au moins avoir des choses à échanger, un homme qui vous embarque, qui vous sécurise, vous fasse rire, réfléchir, jouir et tout ça en même temps. Le mouton à cinq pattes, non, vous avez de l’ambition et des attentes. Une envie de faire marcher le prochain à quatre pattes, vous le confessez, petite vengeance personnelle qui ne saurait durer si le prochain est aussi prometteur que ce qu’il affiche. Des besoins donc, des valeurs et des anti-valeurs. Espérons que votre prochaine date aura les mêmes.

Vous reconnaissez que pour eux, c’est compliqué, indépendante, vous leur laissez peu de place, forte, vous les voudriez vulnérables ou sensibles, vous ne faites pas tellement la différence entre ces deux termes. Lorsqu’ils le sont, vous les méprisez, lorsqu’ils ne le sont pas, vous les suppliez de lâcher au moins trois mots pour constituer une phrase, sujet/verbe/complément. À défaut du langage des émotions, reste le langage du corps. Vous distinguez le sexe de l’amour, ce n’est plus l’apanage des mecs et vous en avez bien profité.

L’heure tourne pour vous aussi, le globe terrestre et ses cycles, vous revendiquez désormais votre droit à l’excellence, la sélection parfaite, le produit sous garantie et vous payez assez cher pour cela. Pour l’heure, vous pleurez sur votre canapé. Ils sont tous affreux, pédants, prétentieux, moches, vieux et pour un ou deux qui serait pas mal, le con, il s’est pris en photo avec son ex et sa fille adorée avec laquelle vous allez partager tous les week-ends et les vacances scolaires. Dommage. Au mieux, c’est avec le chien, le toutou omnipotent, un Carlin avec des traces de bave un peu partout sur le tableau de bord. Car la voiture est omniprésente. Au volant tel un chauffeur Uber ou posant les bras croisés, les fesses sur le capot façon aventurier-reporter, vous avez à peu près toutes les marques qui défilent, bref, le salon de l’auto s’invite dans votre divan. Autoportraits ratés. À croire qu’ils ont honte de demander à leurs potes de les prendre en photo, un portrait qui les valoriserait, il faut croire qu’ils ont honte d’admettre leur inscription sur Bumble. La nana, elle vient à toi, elle te tombe dessus et dans les bras, point. Dommage. La photo qui permettrait de passer à droite de votre écran. Jeté à gauche. Le selfie donc, flou ou mal cadré, dans la salle de bains, la cuvette des toilettes en fond, le couvercle non rabattu, ou devant la machine à laver, c’est à se demander comment interpréter le message subliminal. Ou devant le miroir et le lit derrière, même pas fait. Au revoir.

Parlons-en du miroir. Gonflant le torse ou les biceps, pour certains la salle de sport est religion, pour d’autres, un lointain souvenir. Entre les deux, des possibilités, des ouvertures, le type accro au cyclisme, à la voile, à la pêche, le thon capturé pendu et à l’horizontal comme mètre-étalon. Ou le surf, pourquoi pas, bien foutu celui-là, une bonne situation, une lueur d’intelligence, ça y est, vous y croyez, vous avez trouvé, euréka ! échange de textos, de capsules vocales, de photos, de cœurs et autres formules hautement éloquentes, vous vous faites votre petit film. Vous défilez devant votre miroir avec toute votre garde-robe sur vous, jetée sur votre lit, vous prenez rendez-vous chez le coiffeur, la manucure, l’esthéticienne, retour sur investissement assuré. La date de la date est fixée. Décommandée la veille. Votre futur-ex-amoureux a son ex-femme qui a été hospitalisée, la mère de sa fille et la fille est effondrée. La fille vit son premier chagrin d’amour. Cette fois-ci, vous savez pourquoi vous pleurez.

Vous prenez rendez-vous le lendemain pour vous faire masser par un homme. Vous choisissez un toucher ferme et une pression profonde. Être touchée. Vous ressortez les muscles en feu, toutes vos tensions à vif, vous avez été massée par une brute. Et en plus vous vous dites que c’est de votre faute. C’est toujours de votre faute, votre mère n’avait de cesse de vous le répéter, les femmes sont coupables, les hommes sont des lâches. Pour vous l’adjectif, pour eux la noblesse du mot. Vous voulez changer le monde sans pour autant endosser les istes, vous appelez au secours une amie. Vous êtes assise dans un bar, sur un roof-top, à quatre heures de l’après-midi en train de vous lamenter sur la carte des cocktails, tarifs happy hour. Deux pour le prix d’un, quatre pour le prix de deux. Se reprendre. Vous allez courir une heure, vous espérez toujours la rencontre inopinée, une heure ça laisse du temps, le beau mec disponible qui saura en un coup d’œil repérer ce que vous avez de si spécial.

Le beau mec en question s’est parfumé un peu trop pour sa séance de running, diffusant ses phéromones jusqu’à Orlando, c’est juste irrespirable. Trop d’informations distillées.

Vous enragez. En plus, ils sont exigeants. Ils ont le culot de mentionner en guise de signature, good kisser wanted. Moins sélectifs que vous bien sûr. Car pour eux, il s’agit de diffuser leur petite représentation du monde au plus grand nombre. Vous, vous vous diluez. Toutes ces images vous donnent mal à la tête et la migraine nuit à la rencontre. Vous persistez jusqu’à la nausée car vous redoutez de passer à côté du bon. Le mâle Alpha qui ne correspond qu’à vous.

Vous inscrire dans une agence matrimoniale ? Pourquoi pas. C’est plus cher oui mais laquelle. Moyens, résultats, relooking, coaching, mettre toutes les chances de votre côté quand votre amie justement se vante de multiplier les rencontres gratuites en promenant son chien. En prenant son café, en poussant son caddie dans les allées du supermarché, en faisant la queue pour acheter n’importe quoi, en percutant à vélo le beau cycliste qu’elle croise un matin sur deux, en essaimant tout simplement les participes présents et toujours dans une ambiance festive. Adopter un chien, bien choisir son tempérament, lâcher-prise et faire la fête voilà son conseil, lâcher quoi, le chien, bref, vous êtes paumée, vous êtes crevée. Vous n’avez plus d’énergie alors que vous êtes censée rayonner, être légère et désinvolte. Et pourtant, il suffit qu’un homme vous manifeste un peu d’intérêt, vous ne résistez pas longtemps. C’est plus fort que vous, vous lui répondez instantanément, vous lui envoyez trois, quatre, cinq messages par jour et c’est beaucoup trop. Résultat des courses, plus de nouvelles après une semaine. Question autonomie, vous avez besoin d’aide. Le prochain, vous ferez mieux, c’est promis, vous serez parfaite, plus attentive, plus distante. C’est décidé, le prochain, vous ne l’attendrez plus. Vous vous concentrerez sur votre personne, ce sera vous et personne d’autre dorénavant.

Dating with myself. Vous vous installez seule à la terrasse d’un restaurant, vous faites mine d’embrasser le monde d’un air détaché, concentrée sur le coucher de soleil. Vous lisez votre téléphone comme si ce dernier vous révélait une information cruciale. Rien. Il ne se passe absolument rien. Le soleil s’est couché, rien d’extraordinaire, ça vous a coûté une fortune et vous avez raté votre heure de sommeil. Avant de quitter les lieux, vous vous en prenez au mec d’à côté qui ne vous drague pas, vous lui jetez à la figure ce que vous auriez eu envie de publier dans votre profil. Un truc dans le genre, il faut leur dire à tous ces hommes que les femmes n’ont plus besoin du mariage et de la sécurité du foyer, de mettre les enfants au monde pour être une femme, qu’être un homme ce n’est pas bomber le torse même si les femmes aiment encore à poser leur tête contre, il faut leur dire que la valeur d’une femme ne se mesure pas à la taille de son bassin, de ses lèvres et de sa poitrine et que les hommes n’ont pas créé internet et la technologie inhérente pour s’envoyer en l’air. Ou se laisser manipuler par leurs gouvernances instinctives. Et que tous ces sites de rencontres, pensés par des hommes, n’ont pas intérêt que la rencontre se fasse : l’espoir et la frustration sont leur fonds de commerce.

Dommage.

Le mec d’à côté est beaucoup trop parfumé, le beau mec et ses phéromones diffusées jusqu’à Orlando, c’est lui, il vous a reconnue et on dirait même qu’il est tombé sous le charme de votre discours. Partir en courant ou s’installer à sa table, commander comme lui une planche de fromages et un verre de vin rouge, pourquoi pas. L’inconnu est un risque, il n’est point un péril. C’est le mensonge qui l’est.

 

Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard


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A propos du rédacteur

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Jeanne Ferron-Veillard naît le 16 septembre 1975, à Lorient. Grandit en Bretagne puis à Albi. A l’âge des grandes mutations, part sur Paris : pensionnaire à l’école de La Légion d’Honneur. Les études ? Niveau licence, quelques souvenirs en Lettres Modernes. Puis ce sera l’Angleterre où elle restera quatre années. Retour en France, entre autres responsable d’une très jolie librairie à Paris. Petit tour de France puis du monde, lit, écrit et vit depuis au même endroit incognito.