Taxi Miami (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)
Amis Français d’ici ou d’ailleurs, good morning ! Es-tu un adepte d’Uber ?
Méfie-toi des gens qui n’ont qu’une idée. À Miami, tu circules en Lyft. L’application sur l’écran de ton téléphone, un carré rose dont les bords sont arrondis, c’est plus ergonomique, ta carte en débit immédiat, wait and save, c’est moins cher. T’as de la chance, tu n’es jamais pressé (la langue française a créé le genre neutre, usons-le). La plupart du temps, la petite voiture arrive sur ton écran en moins de quinze minutes.
Tu ne possèdes pas de véhicule. Tu n’as pas de permis de conduire. Trois échecs, il faut croire que la vie ne veut pas de toi sur la route. Quatre mille dollars à l’année, tu as fait le calcul, c’est moins cher d’utiliser la voiture des autres.
Ce soir, la petite voiture Lyft, wait and save, fait vibrer ton téléphone un peu trop vite. Tu as quatre minutes pour mettre tes chaussures. Comme tous les soirs, tu te badigeonnes de crème hydratante, made in Korea. Ce soir, tu as décidé de porter tes bottes en cuir, made in Italy, dénichées dans une boutique Vintage, à Miami. Résultat, tu dois forcer pour enfiler tes bottes, deux minutes pour que ta jambe veuille bien entrer dans la botte, ou le contraire. Tu fermes la porte de ton studio de plain-pied, à Miami Beach. Et tu sors de chez toi, une botte au pied, une botte dans la main. Tu dévales. Défenestration au rez-de-chaussée. Tant pis. Tu as décidé d’être magnétique, irrésistible, magique, de collectionner les adjectifs. Stoïque.
Le chauffeur. Il a décidé de te draguer comme d’autres racleraient le fonds d’une rivière, est-ce que tu vis seul, est-ce que quelqu’un t’attend, tu mets quoi sur ta peau, tu fais quoi à tes cheveux, je les adore, ça tombe bien, tu portes une perruque. Où vas-tu, imbécile, c’est écrit sur ton écran. Tu lui envoies la deuxième botte à la figure, tu te ravises, tu as besoin de lui pour te conduire à cette soirée costumée, à Miami. Et autres adjectifs lumineux. Tu lui demandes de cesser de jouer avec son deuxième téléphone, entre ses jambes.
Et cette botte que tu ne parviens toujours pas à enfiler.
Il roule trop vite. Et toi, tu les vois, les lumières bleues et blanches tout autour, du rouge aussi. La police. Sur le bas-côté. Les papiers, eh bien, y’en a pas. Mais eux, tu vois, ici, ils ne rigolent pas. Le chauffeur, il doit sortir. Quatre cents dollars. Ce que tu dépenses en un mois en petite voiture, wait and save. Pas de permis, tu te souviens. Lui, non plus.
Il pleure. Ça ne fonctionne pas. Et ça dure. Tu es à vingt minutes à pied de chez toi, vingt minutes à pied de la soirée déguisée, à demi chaussé, mais lui, le policier, il ne veut pas que tu marches. Tu annules la course et tu en commandes une autre. Non. Toi, tu veux rentrer chez toi, à Miami Beach.
Il est d’accord pour te ramener, il faut juste qu’il demande à ses collègues de Miami Beach s’il peut conduire sur leur juridiction. Vingt minutes d’attente. Miami et Miami Beach sont deux villes distinctes au cas où tu l’aurais oublié.
Rentrer chez toi en voiture de police, ça plaira au voisinage. Une botte au pied que tu essaies d’enlever, assise derrière une grille, les gyrophares en stéréo. Par chance, la soirée ne t’aura rien coûté. Et tu te coucheras tôt.
Impossible d’enlever la botte. Tu as besoin d’aide. Le policier accepte de te déposer devant chez toi, il ouvre la portière. Et il t’aide. Parce que tu vis seul. Il faut un point d’appui, il faut tirer. Desceller la botte collée à ta jambe. Le cuir et la peau. Ça dure bien quelques minutes. Le temps de conclure. Ça te fait rire. Lui aussi. Ça prend quelques secondes. C’est le temps qu’il faut pour réduire. La distance entre deux êtres. Ou désincarcérer deux matières.
Sandrine-Jeanne Ferron
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