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Tant de silences, Christophe Fourvel

Ecrit par Marie-Josée Desvignes 30.05.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts, Essais, L'Atelier Contemporain

Tant de silences, avril 2016, dessins Jean-Pierre Schneider, lecture Jean-Marie Blas de Roblès, 128 pages, 20 €

Ecrivain(s): Christophe Fourvel Edition: L'Atelier Contemporain

Tant de silences, Christophe Fourvel

 

« Ce que le langage oral ne peut dire,

tel est le sujet de la littérature », Pascal Quignard

 

Qu’y a-t-il dans un silence ? De quelle qualité sont nos silences ? De quel mystère s’approche-t-on quand on parle de silence ? Que l’on y ait réfléchi ou pas, parler du silence, c’est sans aucun doute vouloir approcher du mystère, ou de tous les mystères qui composent nos vies.

Ecrire pour fixer des silences est la preuve d’une grande sensibilité et d’une capacité à regarder plus loin, aller au-delà de nos sens, dans cette part intime où l’on se cache pour le meilleur et pour le pire. En sommes-nous tous capables ? Pas sûr. C’est un miroir que nous tend Christophe Fourvel avec beaucoup de grâce et de sincérité.

Tant de silences de Christophe Fourvel, aux Editions L’Atelier contemporain, illustré par J-P Schneider dont les dessins appellent la plus fine épure, est un feuilletage de silences à la fois personnels et universels.

S’agit-il de dire le silence ou d’aller à sa rencontre ? Ici, le silence n’est jamais que dans sa toute puissance à traduire l’émotion, il n’est jamais plus à l’aise que lorsqu’il est caché, dissimulé volontairement ou pas. Du consentement tacite face à la barbarie qui souvent nous laisse dans l’impuissance et la culpabilité, à celui recherché par la contemplation d’une œuvre d’art, l’écoute d’un concerto (le N°2 pour piano de Rachmaninov par exemple) ou d’une voix fascinante, celle d’une femme aimée, celle d’un chanteur.

Du silence du bourreau à celui qui regarde la photographie « muette » d’un massacre (au moment du massacre, y avait-il du silence ? Pour sûr non).

« Presque aussi présent que l’horreur visuelle, est le silence ».

Pourtant sans parole, sans trace, n’est-il pas dit trop souvent encore : « ce qui n’est pas dit n’a pas existé » ?

Nous prenant à témoins de nos propres expériences, il démontre comment les uns et les autres, nous avons besoin même pour se séduire du silence de la musique mais qu’en réalité « nous détestons le silence ». Rappelant au passage combien nos sociétés bruyantes ne savent plus atteindre à cette « nudité de soi. Un soi qui n’aurait avec lui, pour traverser les minutes et les heures, que son regard intérieur ».

Pour autant, ce que nous dit Christophe Fourvel s’écarte des lieux communs sur le silence. Il ne s’agit pas d’un éloge du silence, d’un énième appel à retourner au silence contre le bruit, pas même d’être en affinité avec ce silence que requiert l’esprit en recherche de sens. Aucune prétention à tenter de dire l’indicible ici, pas de recherche ou de désir « mystique ». Il s’agit d’un silence que je dirais « émotionnel », de ce silence à l’écoute duquel se met l’artiste, le cinéaste, le peintre, le chanteur et sans qu’il en fasse état ici, l’écrivain lui-même. De ce silence auquel on se prête avant de créer, pour nous permettre à nous lecteurs de ces œuvres d’y retourner. C’est dans cette attention au silence que s’enracine toute créativité, bien sûr, mais ici il s’agit d’aller le chercher au cœur des œuvres dans un mouvement inverse, il s’agit de l’empreinte qui en a généré l’œuvre.

Avec des références, nombreuses, au cinéma d’Ettore Scola, à la peinture de Giorgione ou Tiziano pour leur Vénus au nu couché, ou avec d’autres plus personnelles et humbles, il éprouve et nous tend par la grâce d’une écriture sensible et fine, en évoquant leur silence, toute la sincérité de ces moments. Christophe Fourvel nous confie par exemple comment, alors âgé de onze ans, à l’écoute d’une voix, celle d’une jeune fille du même âge, il est tombé amoureux de celle-ci. Au-delà de cette confidence, ce qui déborde dans ce partage, c’est la sensualité qui accompagne, dès les premières lignes du texte, le silence d’une femme nue en peinture, portrait de Barbarelli, ou un peu plus loin, la présence mutique de Liliane qui danse « les yeux dans la caméra » dans Adieu Philippine de Jacques Rozier. Le silence et les solitudes des peintres des siècles passés nous accompagnent.

« Le peintre est du matin au soir, devant sa toile, immergé dans un mutisme qui nous devient un jour ou l’autre familier ; qui nous submerge tous, que nous donnions ou non naissance à des beautés comparables à sa Vénus d’Urbino. Nous sommes dérobés aux turpitudes du monde présent, rendus, par un paravent insensé, à la seule compagnie de ceux qui nous ont précédés. Nous partageons des gestes, des sentiments, des peurs, des pensées avec eux. Et nous acquérons la certitude qu’un état, qui fut leur lot, se régénère en nous ».

La littérature comme la musique s’accordent avec le silence. Pascal Quignard, autre écrivain du silence de la musique et de la littérature, écrit dans Vie secrète : « J’emporterai partout le silence qui n’est pourtant pas le perdu du langage. Le silence n’est que l’ombre que le langage porte ». Christophe Fourvel écrivait déjà dans Dumky (La Fosse aux ours, 2000) : « Dans chaque homme qui se tait il y a une spirale ». Il appelait ça « le huitième silence ».

Le silence a à voir avec l’obscurité, le secret, l’ombre ; la peinture et le cinéma ont cette ténèbre mélancolique que l’on retrouve aussi métaphoriquement avec la chambre noire pour la photographie, la salle obscure pour le cinéma. Dans l’écriture, la parole muette, au secret d’une chambre encore ; l’écrivain se retire pour se taire et mieux dire ce qui se dérobe.

« Il faut des étoiles et des poussières pour consteller nos ciels ; des chandelles, des soleils trop lointains ; des vies brèves et des règnes durables ; des existences écrasantes et des regards d’écrivains pour les porter ».

L’objectif de Christophe Fourvel serait de retransmettre ce pouvoir du silence dans nos vies. Dans l’espace littéraire du livre, le silence est un espace vide susceptible de produire un frémissement, un retour en soi nécessaire, et de vénérer le caractère positif d’une telle expérience.

On pense à Blanchot aussi qui, dans Le livre à venir, écrivait : « Et le livre véritable […] s’élève et s’organise comme une puissance silencieuse qui donne forme et fermeté au silence par le silence ».

L’enchantement révélé de Christophe Fourvel pour ces merveilles de silence nous laisse admiratifs dans l’évocation à la fois simple et lumineuse qu’il nous offre avec cet ensemble. Le silence en garde sa toute puissance, et ce, malgré les mots, la parole écrite (silencieuse donc ?) utile à son exposition, dans ces pages presque blanches de l’avant-dernier chapitre intitulé « Retour au silence ».

Cette parole que l’écrivain reprendra finalement dans un retour entêté, en dernière page. Pour avoir le dernier mot ? Dans un sursaut pour la vie, la beauté et l’art, Christophe Fourvel nous parle à nouveau de peinture et de Tiziano, cet « insatiable de gloire, de reconnaissance et maintenant de vie » qui « trop bavard devant sa mort dit que Dieu est un silence insupportable ». Rajoutant « Nous le savions déjà. Nous l’avons toujours su. Il n’a plus rien à dire ».

L’auteur clôt son ouvrage sur ce dernier mot « dire » pour se taire à son tour, et, dans une révérence, rendre au silence toute sa majesté et au mystère son entièreté.

« Il faut posséder beaucoup de mots, beaucoup de sérénité, d’entendement pour habiter ses silences. Qui possède suffisamment de ces richesses ? »

« Christophe Fourvel nous dévisage avec une acuité qui place son texte au rang des plus beaux et des plus clairvoyants jamais écrits », Jean-Marie Blas de Roblès.

 

Marie-Josée Desvignes

 


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A propos de l'écrivain

Christophe Fourvel

 

Christophe Fourvel est né en 1965, il vit non loin de Besançon. Animateur d’ateliers d’écriture, il est aussi auteur de livres pour enfants, de textes pour la scène, de chroniques dans la presse. Il a publié aux éditions La Fosse aux ours : Le mal que l’on se fait (2014), Bushi no nasake (2011), Des hommes (2002), Dumky (2000), Derniers paysages avant traversée (1999). Aux éditions La Dragonne : Montevideo, Henri Calet et moi (2006), Anything for John (2005), Journal de la première année (2001). Et au Chemin de fer : La dernière fois où j’ai vu un corps (2011).

 

 

A propos du rédacteur

Marie-Josée Desvignes

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Marie-Josée Desvignes

 

Vit aux portes du Lubéron, en Provence. Enseignante en Lettres modernes et formatrice ateliers d’écriture dans une autre vie, se consacre exclusivement à l’écriture. Auteur d’un essai sur l’enjeu des ateliers d’écriture dès l’école primaire, La littérature à la portée des enfants (L’Harmattan, 2001) d’un récit poétique Requiem (Cardère Editeur, 2013), publie régulièrement dans de très nombreuses revues et chronique les ouvrages en service de presse de nombreux éditeurs…

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