La symétrie ou les maths au clair de lune, Marcus du Sautoy
Symétrie, ou les maths au clair de lune, Essai traduit de l’anglais par Raymond Clarinard, 528 p. 26 €
Ecrivain(s): Marcus du Sautoy Edition: Héloïse D'Ormesson
Comment devient-on mathématicien ? Et qu’est-ce que c’est que les mathématiques ? S’agit-il d’une succession de nombres sans fin, de calculs fastidieux et de symboles abstraits et incompréhensibles, accessibles aux seuls initiés ? Ce sont à ces questions que répond l’auteur, professeur de mathématiques à Oxford, dans un langage d’une clarté limpide qui est un modèle de pédagogie. Car il ne se contente pas de nous faire comprendre un pan du monde mathématique, mais il nous le fait aussi aimer. Il nous fait rentrer dans la subjectivité du chercheur, qui va à la rencontre des mystères de la nature. Lui qui initialement s’est essayé à l’apprentissage des langues, a été rebuté par leur caractère aléatoire et arbitraire, et il a très vite compris qu’elles ne pourraient satisfaire son désir de logique et de sens. Seule, la rencontre fortuite, mais pour laquelle il a su se rendre disponible, d’un professeur de mathématiques, lui a fait comprendre que celles-ci étaient aussi un langage, porteur de significations.
Ces dernières nous apparaissent au détour de l’ordre contenu dans tout ce qui nous entoure, et pas n’importe quel ordre, puisqu’il s’agit de celui de la symétrie. Il nous fait découvrir un monde mathématique qui ne se réduit pas au quantitatif, mais qui rend compte de la structure qualitative du réel, à l’image de René Thom avec sa théorie des catastrophes, qui nous explique les états de ruptures qui font passer d’un état à un autre, ou comme Bernard Mandelbrot dont les travaux nous font entrevoir l’ordre sous-jacent à la forme, en apparence hasardeuse, d’un relief de montagne ou d’un flocon de neige.
La symétrie, c’est ce qui donne à la fois sens, efficacité et beauté à la nature. C’est elle qui donne à la fleur son attrait pour l’abeille, ou qui rend un visage séduisant pour l’amoureux. Car la symétrie n’est atteinte que lorsque la fleur est suffisamment riche de nectar, et c’est elle qui fait que nos membres peuvent fonctionner parfaitement, en permettant la rapidité de course au prédateur comme à sa proie. Sans symétrie, pas de salut, dans un monde où règne la loi du plus fort ! La symétrie trouve également son champ d’application, loin d’être un simple objet de spéculation abstraite. C’est ainsi qu’une société pharmaceutique a pu mettre au point un médicament, la thalidomide, qui empêche la survenue de nausées chez la femme enceinte. Celui-ci est fait à partir de molécules tétraédriques (une pyramide à base triangulaire composée de quatre triangles équilatéraux symétriques), celles du méthane. Mais les atomes d’hydrogènes, placés autour de l’atome de carbone, peuvent être agencés de deux manières différentes. Dans un cas, l’agencement donnera un médicament fiable et efficace, dans l’autre un poison mortel. Et cette différence ne tient qu’à la possibilité de retrouver, ou non, la symétrie de la molécule ou son simple reflet, comme lorsque nous nous regardons dans un miroir. Là encore, la symétrie d’un virus constitue un système économique, qui réduit la taille du programme pour reproduire la structure. Le virus de la polio présente une enveloppe de protéines de forme sphérique, que l’on pourrait comparer à la forme de la Géode à Paris, sphère composée de 120 triangles équilatéraux et de 60 triangles isocèles. C’est la symétrie qui demande la moins grande consommation d’énergie, et qui contribue ainsi au processus du développement viral.
Mais cette symétrie, en plus d’être un miracle de la nature, est aussi l’objet d’une réflexion abstraite possible, celle que pratique le mathématicien. Il n’est pas nécessaire d’observer des symétries existantes pour être séduit par la pure logique dont elles nous gratifient. Considérer une symétrie, c’est répertorier les déplacements possibles d’une figure, comme un triangle, sans que celui-ci change de forme. Cet objet de séduction, c’est celui auquel nous invite l’auteur, en nous embarquant avec lui pour un voyage, dans le temps comme dans l’espace, afin de parcourir les temps forts et les lieux où se sont produites les plus grandes découvertes des 2000 ans d’histoire de la symétrie. C’est ainsi que nous serons invités à une visite de l’Alhambra en Andalousie, dont les architectes musulmans, frappés d’interdit quant à la représentation de la figure humaine, se rabattront sur des figures géométriques, dans lesquelles il sera possible de reconnaître 18 formes de symétries différentes. Nous irons en Grèce antique, avec Platon et son ami Théétète, qui les premiers donneront le jour aux cinq premières symétries découvertes, et notamment l’icosaèdre, forme à 20 faces. Au terme de ce parcours, nous aboutirons à la conception de symétries monstrueuses, comme en particulier celle qui fut justement baptisée le « Monstre », composée du chiffre astronomique de 808 017 424 794 512 875 886 459 904 961 710 757 005 754 368 000 000 000 symétries ! Cet objet symétrique, comme tous les autres, peut être divisé en objets plus petits, dont la collection de symétrie est, elle, indivisible, comme les rotations d’une figure à 15 côtés qui peut être obtenue à partir des rotations d’un pentagone et celles d’un triangle. Un groupe de symétrie indivisible constitue une brique essentielle dans le monde de la symétrie.
Mais il faut établir un lien entre les objets symétriques, avec leur suite de nombres qui semble due au hasard, et la théorie des nombres, et notamment la fonction modulaire, dans une correspondance que Conway va baptiser « le clair de lune ». Il s’agit de pouvoir rendre compte mathématiquement des dimensions de l’objet symétrique, ce à quoi vont contribuer des escales en Italie, avec Tartaglia, qui le premier donna la solution d’équations du 3ème degré, ou à Paris, avec Evariste Galois, mort à vingt ans dans un duel, mais qui avec sa théorie des groupes aura eu le temps de découvrir que chaque équation (de 4è ou 5è degré) possède une collection de toutes les permutations possibles d’une figure, ou un « groupe » établissant une correspondance entre une équation et une forme géométrique. C’est ainsi que des formes à n dimensions, impossibles à visualiser, peuvent être décrites par l’intermédiaire des nombres. Derrière cela, se trouverait rien moins que le mystère de la nature interconnectée des mathématiques, autrement dit la structure de l’objet mathématique lui-même, mais son atteinte fera partie d’une autre histoire, un jour peut-être.
Christophe Gueppe
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