Sylvie Le Bon de Beauvoir, Album Simone de Beauvoir, Gallimard, La Pléiade
Simone de Beauvoir Mémoires I et II, Jean-Louis Jeannelle, Éliane Lecarme-Tabone, chronologie Sylvie Le Bon de Beauvoir, 1616 pages, et 1696 pages
Edition: La Pléiade GallimardSylvie Le Bon de Beauvoir, Album Simone de Beauvoir, Gallimard, La Pléiade n°57, mai 2018, 248 pages, 198 ill.
Celles et ceux qui aiment la paralittérature seront sans doute séduits par l’écriture surannée de Simone de Beauvoir mémorialiste. Dès sa jeunesse elle se veut écrivaine et écrivaine célèbre. Elle étudie, en accumulant des diplômes, les mathématiques et les lettres, et la philosophie dont l’éthique et psychologie. Bref c’est une tête bien faite et bien pleine toujours poussée par son père – déçu de n’avoir pour progéniture qu’une fille à défaut du polytechnicien espéré.
Et ce sera toujours pour l’auteure un problème. Elevée comme un homme, elle restera fascinée par eux tout en les craignant et en trouvant (avant Nelson Algren) son épanouissement dans les amours parallèles. De ce qu’elle nomme elle-même les « amours contingentes » qui furent aussi manière de s’émanciper de la famille ou de l’ordre masculin, Simone De Beauvoir dit peu. Elle reste évasive d’autant que ces amours pour les jeunes filles lui valurent certains déboires.
Dès son roman à succès, L’invitée, Simone de Beauvoir, sous couvert de fiction, écrit le prélude à ses Mémoires. « Le Castor » ou « la grande sartreuse » y crée ce qui devient son objectif : le rapport étroit entre vie et littérature. Elle se dit capable d’éviter tout enfermement narcissique. Voire… Car si ses Mémoires s’ouvrent sur le dehors, sur le monde, sur les autres, tout passe par subjectivisme égocentré. Il ne sera cassé que dans ce qui reste de la grande œuvre de l’auteur, Le Deuxième Sexe, et un livre majeur dont les échos demeurent.
Ceux des Mémoires restent à l’état de clapotis littéraires surannés. Ce passage de Mémoires d’une jeune fille rangée prouve une vision naïve et idyllique : « Je sentais sur mes paupières la chaleur du soleil qui brille pour tous et qui ici, en cet instant, ne caressait que moi. (…) Quand la lune se levait au ciel, je communiais avec les lointaines cités, les déserts, les mers, les villages qui au même moment baignaient dans sa lumière. Je n’étais plus une conscience vacante, un regard abstrait, mais l’odeur houleuse des blés noirs ».
Et dans les divers tomes de Mémoires (hormis quelques considérations générales, en particulier dans La Vieillesse), c’est bien sûr un « moi d’abord » qui fait force de loi. Ce moi surplombe le monde et l’apologie des autres ramène à un même et à ce qu’elle avoue dans Tout compte fait « le goût de ma propre vie ». Mais nul ne doute que des lectrices et des lecteurs se sentiront concernés même si la sincérité qu’on a louée chez elle est beaucoup moins claire qu’on ne l’affirme, en particulier au moment où ces deux tomes de plaidoyers pro-domo croulent sous une avalanche d’hommages. Ne reste-t-il pas tout compte fait qu’une idéalisation très influencée par la rêverie et la théorie.
Le lecteur retombe en effet dans une sorte de narration primaire. Simone de Beauvoir se contente d’accroître par effet retard le poids du secret et fait fonctionner de manière réparatrice l’onde (faible) de choc qu’elle tente d’introduire. Nulle exploration n’est produite. Nous sommes loin d’une écriture arachnéenne (réseaux) qui ouvre à un autre écho du réel en une quête de formes nouvelles qui font des créatrices de réelles défricheuses. Hors Le deuxième sexe, l’écriture du je n’aboutit qu’à des formes narratives immédiatement transparentes en absence de remontées des nappes phréatiques du vivant. Existe dans Les Mémoires moins de l’être que son apparence et sa raison raisonnante. Bref tout « Mémoire » ne peut donner que ce qu’il est : une apparence.
Jean-Paul Gavard-Perret
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